Lucio Fulci

MENU

Interviews / Interviews de Fulci

giallopages1

Rien que pour vos yeux (version française inédite)

  • Le 01 mars 1993
  • Par Luca Palmerini
  • Traduction par Lionel Grenier
  • Paru dans Giallo Pages n°1
  • 1

Comment avez-vous commencé dans le cinéma ?

Je n’y ai pas commencé par amour, croyez moi. J’étais critique d’art et j’étudiais la médecine quand je me suis mis en couple avec une femme qui a fini par me quitter parce que j’étais trop pauvre… Elle était d’une famille qui, à l’époque – juste après la guerre – était très riche, même si leur situation sociale commençait à se dégrader… Quoi qu’il en soit, j’étais dans le tram pour rentrer chez moi et j’ai remarqué, dans le journal que tenait l’homme situé en face de moi, que le Centro Sperimentale di Cinematografia rouvrait. J’y suis allé et ai réussi mon examen d’entrée avec Luchino Visconti, avec qui j’ai été proche pendant longtemps, et avec d’autres qui étaient alors ses assistants : Antonioni, Pietranigeli… Il n’y avait aucun matériel, mais il y avait beaucoup de théorie enseignée par des gens comme Barbaro, Chiarini… Bela Balsaz nous a donné quelques leçons. Dans ce climat culturel, j’ai grandi avec Nanny Loy, Francesco Naselly et d’autres qui se sont ensuite perdus en chemin.
Dix ans après, quand je travaillais comme assistant réalisateur et que j’avais écrit une dizaine de scénarii, j’étais assis sur le trottoir de la Scalinata della Trinità dei Monti avec Tonino Delli Colli, à attendre l’arrivée d’une équipe, et cette femme qui m’avait quitté est apparue, très élégante comme à son habitude, et m’a regardé avec beaucoup de pitié puis m’a demandé : « Que fais-tu maintenant ? » Pauvre femme, elle n’allait pas souvent au cinéma ! La morale de cette histoire est que votre but ne doit pas être une fin en soi, mais juste un moyen de mener votre vie comme vous le souhaitez.

Jusqu’à Perversion Story, vos films étaient surtout des comédies…

Eh bien, j’ai été l’assistant de Steno pendant 15 ans. Il a été mon grand professeur, un homme extraordinaire dont le seul défaut est de m’avoir appris à être honnête avec mes employeurs et mon public. Ensemble, nous avons fait des comédies, par exemple Un Americano a Roma, que j’ai écrit même si Alberto Sordi a donné vie à son personnage avec de merveilleuses touches personnelles. Quand j’ai commencé à réaliser (seulement parce que je venais de me marier et que j’avais besoin d’argent), tous les comédiens que nous avions découverts se sont mis à dénigrer ma contribution à leurs carrières. Je n’ai pas très bien travaillé avec les acteurs parce que moi, je veux faire mes films et eux les leurs. Même quand je faisais des films avec Franchi et Ingrassia, j’ai essayé de faire des films que seraient à moi, et je suis toujours très fier d’eux.

Quel est votre background culturel ? Est-ce que le fantastique a toujours été une passion pour vous ?

Le fantastique a toujours été mon genre préféré. Mon background culturel est en partie scientifique, à cause de mes études, mais j’étais aussi passionné de littérature. Je pense que Proust, un écrivain que j’admire énormément, est rattaché à la tradition du fantastique dans sa recherche infinie de la signification du souvenir. Notre mémoire est comme une forêt dans laquelle on peut se perdre comme dans le monde de A la poursuite du diamant vert, par exemple. J’ai lu l’œuvre complète de Lovecraft, que j’ai trouvée très difficile, et j’étais un grand admirateur de Poe, mais finalement, je crois qu’on est influencé par ses propres rêves. Gramsci disait : «  La Culture n’est pas seulement un bagage de notions, mais elle implique qu’on doit filtrer ces notions selon sa sensibilité », et j’ajouterais « selon ses propres rêves aussi. »

Vos films sont cauchemardesques, sauvages, extrêmes… Mais quel genre d’homme êtes-vous dans la vie ?

Timide et fragile, comme tous les réalisateurs de films d’horreur… A part Freda qui est très violent à cause de ses expériences qui l’ont détruit. Mario Bava était un homme très timide, il n’était pas très doué pour faire entendre sa propre voix… Son fils Lamberto est très fort pour cela, bien qu’il soit 15 fois moins talentueux que son père !

Quelle expérience cela représente-t-il pour vous de faire un de vos films ?

C’est très intense… Je suis le film de bout en bout jusqu’au mixage final, puis, j’arrête de le regarder. Je suis d’accord avec mon ami Melville qui disait : « Quand j’ai fini un film, je ne le regarde plus, parce qu’en revoir un me rendrait furieux à cause de mes propres erreurs. » Malheureusement, je ne peux pas trop me permettre de retourner des plans sans cesse comme le font Fellini et Woody Allen… Quand un de mes plans est dans la boîte, il y reste pour toujours.

Certains acteurs ayant tourné pour vous vous décrivent comme quelqu’un de morose, intraitable…

Ce n’est pas vrai… disons plutôt qu’en vieillissant, je suis devenu plus malléable. Quand j’étais jeune, j’étais plus rigide, comme tous les timides, mais cela a changé avec le temps. J’ai toujours essayé de choisir des acteurs qui suivent mes directions sans se rebeller après que Jennifer O’Neill m’ait rendu fou sur L’Emmurée vivante parce qu’elle était dominée par son copain, le pauvre Marc Porel, et était totalement indisciplinée. J’ai eu peu d’acteurs indisciplinés dans ma carrière, parce que ce qui font des films d’horreur ne peuvent pas être ainsi, parce qu’il faut travailler dur et avoir de la patience pour ce cinéma-là. A Paris, il y a une dizaine d’années, Vincent Price m’a dit : « L’acteur dans le genre doit jouer dans la technique, dans le maquillage et la transformation. » Et, bien sûr, il a raison.

Quel souvenir gardez-vous de votre premier giallo, Perversion Story ?

Perversion Story a été le premier titre apporté par le producteur Edmondo Amati, un excellent producteur qui ne savait alors pas ce que le giallo était parce que, après tout, ce film a été seulement le deuxième giallo produit en Italie. Le premier fut L’Adorable corps de Deborah, réalisé par Romolo Guerrieri et produit par mon ami Luciano Martino, qui a dit pendant des années que nous avions besoin d’un « film noir » à l’italienne. Perversion Story est peut-être le premier « thriller mécanique » italien. En fait, quand il est sorti, tout le monde, y compris le producteur, avait peur de la manière dont le scénario était construit. Pour ce producteur, je devais faire une comédie avec Ugo Tognazzi mais Tognazzi s’est retiré du projet alors, à la place, nous avons fait un giallo dans la veine de L’Adorable corps de Deborah. A commencer par Perversion Story, la police ne résout jamais rien dans mes films, par exemple dans La longue nuit de l’exorcisme, elle comprend tout de travers. Le mystère est maintenu entre les personnages… à travers leurs gestes, leurs attitudes, leur développement psychologique… Toutes ces choses qu’Argento adoptera ensuite pour ses films.

Vous avez enchaîné avec un film formidable… Le Venin de la peur.

Après notre premier succès, Amati a décidé de me laisser faire ce film qui es sorti au même moment que Le Chat à neuf queues, probablement le meilleur Argento durant sa période giallo avec L’Oiseau au plumage de cristal… Les films avec des animaux dans les titres étaient alors les seuls succès ! J’ai fait 8 millions de lires au cinéma Rouge et Noir à Rome, ce qui était un triomphe pour l’époque, tandis qu’Argento, dont les films étaient alors plus sanglants, fait 12 millions à l’Empire.

Puis vient votre troisième thriller, La Longue nuit de l’exorcisme

Ç’a été un grand succès, un film à récompenses… C’était une tentative de thriller rural utilisant un thème de mon meilleur film, Beatrice Cenci. Dans ce dernier, le pouvoir du Pape en 1500 tuait et envoyait les gens en Enfer, tandis que dans La Longue nuit de l’exorcisme, le prêtre est convaincu de les envoyer au Paradis. C’est un film que j’aime profondément, et un dans lequel je révèle l’identité du tueur, quand le prêtre marche avec Milian et lui dit qu’il ne veut pas que les enfants grandissent, ils veulent qu’ils restent petits et innocents. C’est pourquoi le film commence avec des sons de cloches et des confessions d’enfants, avec la longue route qui coupe telle une plaie au milieu du paysage. Je voulais que le film se situe dans une grande ville comme Turin, où des superstitions perdurent grâce aux immigrants du sud. J’ai vu des petites cérémonies vaudou organisées dans des immeubles où vivaient des ouvriers de chez Fiat. Mais le producteur voulait que le film prenne place dans un village du sud. C’était le premier film produit par Medusa, et ils s’en sont très bien occupés.

Maintenant, j’aimerais parler de vos westerns. Le premier fut Le Temps du massacre… une entrée dans le genre très inhabituelle – un western « fantastique ».

Exactement ! Le Temps du massacre est un western onirique. Il y a trois éléments : le frère méchant qui joue du piano avec son père, exprimant la nature œdipienne de leur relation ; un frère perdu qui ne connaît pas son identité ; et un soûlard. Je ne suis pas un réaliste, comme Leone. Les Français décrivent mon film comme un western « rêvé » (en français dans le texte, NDT).

Votre deuxième western est Les 4 de l’apocalypse.

Un autre film inhabituel… Encore une fois, j’ai essayé de rendre les trois personnages une qualité « intemporelle ». A la fin, ils se dévorent tous. Malheureusement, le film a été très mal écrit par Ennio De Concini, alors il n’a pas gagné un centime dans le monde. Le scénario de De Concini était inutilisable, ce qui prouve qu’il n’est bon que pour les soap operas de la RAI…

Quels souvenirs gardes-vous des deux Croc-Blanc que vous avez faits ?

Deux films extraordinaires qui ont été très difficiles à faire, mais aussi plaisants notamment grâce à mon amour des animaux.

Dracula in Brianza est une parodie de film d’horreur…

J’aime vraiment celui-là, c’est une histoire moderne, presque américaine. C’est l’histoire d’un industriel qui pense être devenu un vampire, et à la fin du film il en devient un, suçant le sang de ses employés.

Le commentaire social est-il intentionnel ?

Non, absolument pas ! Le commentaire social est toujours une erreur dans un film fantastique. Nos films n’ont rien en commun avec tous ces films faits par des amateurs qui cachent leurs défauts avec du contenu social.

Comment avez-vous travaillé avec Pupi Avati sur l’écriture de ce film ?

Pupi Avati a écrit des choses très drôles mais a ensuite quitté la production pour faire un film avec Tognazzi et a été remplacé par Corbucci et Amendola. Ils ont fait un très bon travail et ont même ajouté plus de comédie aux choses déjà drôles écrites par Avati.

L’Emmurée vivante est cité par beaucoup comme un bon film, pourtant ce fut un échec lors de sa sortie… Pourquoi ?

C’était un film très « mécanique » que je referais demain si on m’en donnait la possibilité, parce que j’aime les scénarii « mécaniques ». C’est un de mes meilleurs films et le plus malchanceux, et ça m’a coûté beaucoup sur le plan personnel… On ne devrait jamais jouer avec le destin. Polanski m’a dit un jour : « J’ai tenté le Diable et ce quelque chose qu’il ne faut pas faire… parce qu’on tente le destin ! »

One Comment

  1. Jean-Pascal Mattei

    Proust en auteur fantastique : rarement souligné, mais trois fois oui ! On ignorait l’amitié de Fulci avec Melville, autre grand timide intraitable. Et il faut (re)découvrir l’excellent et méconnu La Maison aux fenêtres qui rient de Pupi Avati, où les fantômes encore frais du fascisme ressurgisent en pleine campagne, à l’occasion d’une fresque restaurée…
    Sur l’ouverture sidérante du Venin de la peur :
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/12/le-venin-de-la-peur-femmes-entre-elles.html?view=magazine

Laisser un commentaire