Nino Celeste – directeur de la photographie (La Dolce Casa degli Orrore, La Casa nel Tempo)
Nino Celeste n’est pas le directeur de la photographie le plus connu dans la galaxie Fulci. Pourtant, son travail était très apprécié par le cinéaste et La Casa nel Tempo s’avère être un téléfilm aux qualités indéniables… C’est donc avec plaisir que le technicien se penche sur sa collaboration avec le cinéaste.
Pourriez-vous, pour commencer, expliquer comment vous êtes devenu caméraman puis directeur de la photographie, et pour quelles raisons ?
Je suis entré dans le métier grâce à un ami qui faisait des documentaires, il m’a appelé pour venir faire opérateur assistant car il connaissait ma passion pour la photographie. C’était Giulio Albonico, le directeur de la photographie. Après quelques mois il décide de faire la photographie d’un film de fiction, et il se met en quête d’un cameraman. Je me suis proposé, et il a accepté, en disant qu’au pire, si nous faisions du mauvais travail, nous n’aurions qu’à retourner au documentaire. Le film s’appelait Diario di una Schizofrenica, de Nelo Risi. Le film a eu un bon accueil au festival de Venise, la photographie fut même particulièrement appréciée, surtout les mouvements de caméra portée, dont le film était truffé. Ensuite, il y a eu tant de films, avec des réalisateurs comme Cavani, Faenza, Samperi, Blasetti, Maselli, Tessari, Carnimeo, Martino, etc… Un film important pour moi est celui de Giuliano Carnimeo, Il Vangelo Secondo Simone e Matteo.
Dans quelles circonstances avez-vous été amené à travailler avec Lucio Fulci ?
Mon premier travail avec Lucio Fulci fut Buonasera Con Franco Franchi, pour la télévision, en 1978.
Parlez nous justement de ce programme…
Buonasera con… était un programme de fin de journée qui avait un hôte différent tous les mois. Cela pouvait être un chanteur, une personnalité de la télévision ou bien un acteur. Ça précédait une série ou un dessin animé pour enfants. Je ne me souviens plus de l’équipe technique ni de la durée du tournage car cela fait des années maintenant… Franco Franci faisait des monologues, il y avait des sketches, etc. Je me suis très bien entendu avec lui.
Quels souvenirs avez-vous de la production de La Dolce Casa degli Orrori et de La Casa nel Tempo ? Y avait-il pour vous une différence d’approche entre les deux téléfilms ?
Les seules différences entre La Dolce Casa degli Orrori et La Casa nel Tempo sont d’ordre artistique : les choix d’objectifs et de filtres notamment, que nous avons pris ensemble avec Lucio. Nous parlions même de l’échelle de plan et du type d’éclairage, c’était des questions qui l’intéressaient.
Quel était votre rapport avec Fulci sur ces tournages ? Il travaillait à l’époque avec sa fille Camilla, qui ambitionnait de devenir elle-même réalisatrice de films d’horreurs. Quelles étaient leurs relations de travail ?
Mon rapport à Lucio était celui d’un père aimant son fils, le protégeant. Par contre, entre Lucio et sa fille Camilla, les relations étaient plus complexes, ça pouvait varier du tout au tout d’un jour sur l’autre. Il y avait des jours tranquilles, et des jours où ça explosait. Leurs caractères étaient complètement opposés, mais ils étaient très attachés l’un à l’autre.
Connaissiez-vous alors ses travaux précédents, et notamment les films sur lesquels travailla Sergio Salvati ? Votre photographie s’éloigne énormément de ce canon esthétique : vous privilégiez des images aux couleurs vives, parfois surexposées par endroits – cela provient-il d’un choix affirmé de votre part, ou d’une volonté de Fulci de se démarquer de ses films précédents ?
Oui, je connais le travail qu’a fait Lucio avec Salvati, ainsi qu’avec ses autres directeurs de la photographie. Salvati est un immense professionnel, très technique, mais il ne travaille pas de point fort dans son image, c’est une grande différence avec mon travail. Salvati adore produire une lumière froide, presque en noir et blanc. Moi, je préfère avoir des couleurs vives, des images plus attrayantes, et cela se voit dans mes films avec Fulci. Sur les deux « Cas » nous travaillions en 16mm, mais ce n’était pas vraiment une difficulté. En fait cela ne change pas grand chose, ça ne fait pas une grande différence: ce qui compte avant tout, c’est de bien choisir les éclairages qui correspondent aux sentiments que doivent produire chaque séquence, selon moi.
D’après vous, Fulci a-t-il privilégié un film sur l’autre ?
Je dirais que pour Lucio tout nouveau film était comme son premier film. Les gens ne s’en rendaient pas compte, mais il venait sur le tournage avec une certaine peur, une certaine anxiété. Je pense donc que les deux films furent traités par leur réalisateur de la même manière.
J’imagine que sur des productions de ce type, le planning de tournage était extrêmement serré. Comment avez-vous appréhendé cette contrainte ?
J’étais habitué à tourner très rapidement, notamment avec la série de films La Piovra, ce n’était donc pas un problème. Le seul souci avec un tournage rapide, c’est qu’il faut accepter d’encore plus se reposer sur les autres, il vaut donc mieux avoir une équipe de collaborateurs fiables.
La Casa nel Tempo a une atmosphère très étrange, entre un réalisme brut dans la première partie et une atmosphère fantastique prononcée ensuite. Comment avez-vous réussi cela ?
Dans La Casa nel Tempo la première partie est tournée sans le moindre filtre de correction des couleurs, avec une teinte vraiment proche des après midi d’automne. Pour produire un contraste violent, une variation brutale sur les colorations du film, la seconde partie abonde de filtres correcteurs ainsi que d’un filtre fog [qui transforme l’image avec un voile blanc, N.D.A] permanent.
Ce film propose une série de cadrages, très composés, autour de l’architecture de la villa et des statues qui l’entourent, qui produisent un sentiment presque surréaliste, proche des peintures de Paul Delvaux ou Giorgio de Chirico. Est-ce dû à une influence consciente, ou plutôt à une simple proximité thématique ?
Pendant que nous tournions les plans sur les extérieurs de la villa Lucio me montrait effectivement des images pour me guider, des photocopies de peintures de De Chirico, et il me disait clairement vouloir produire des références à sa peinture métaphysique. C’était une bonne idée, mais je ne suis jamais satisfait de mon travail. Il plait aux autres, mais moi, j’ai toujours envie de tout refaire.
Vous avez travaillé, entre autres, avec Mario Bava, sur La Venus d’Ille. Pourriez-vous dire deux mots sur ce tournage ?
Je considère Mario Bava comme un autre maître, parmi les réalisateurs avec qui j’ai pu collaborer. Il était très différent de Lucio, au niveau du caractère : Mario était timide, il parlait à voix basse ; Lucio criait tout le temps, comme un vendeur de journaux, et il cherchait les ennuis. Mais ils étaient tout deux des génies. La Venus d’Ille est un téléfilm produit par Carlo Tuzzi qui m’a imposé à Bava comme directeur de la photographie. Je me suis très bien entendu avec lui, notre rapport était exceptionnel. En fait il voulait même me faire travailler sur son prochain film, dont il me parlait beaucoup pendant le tournage, mais cela ne s’est pas fait à cause de sa disparition.
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