Interview (version française inédite)
Quel a été votre premier film ?
I Ladri en 1959. Les producteurs n’avaient pas un rond, comme d’habitude, mais ils voulaient Totò en tête d’affiche. Le film était un peu hybride et ça a été un flop.
Pourquoi avez-vous choisi de devenir réalisateur ?
Je ne voulais pas être réalisateur, je voulais juste être scénariste. En fait, j’avais refusé de tourner Totò All Inferno quelques années auparavant. Je ne voulais pas faire les films de Totò ! Mais par la suite, je me suis marié, j’avais besoin d’argent. Je peux dire que pour moi, devenir réalisateur, ça a été un accident alimentaire. Je suis arrivé à ce poste avec une grande expérience professionnelle de dix ans passés aux côtés de Steno. Après I Ladri, j’ai fait Ragazzi del Jukebox, une comédie musicale qui a connu un grand succès.
Je sais que vous avez fait beaucoup de comédies avec Franco & Ciccio.
I Due de la Legione Straniera a été mon premier film avec eux. J’ai trouvé ces deux merveilleux acteurs alors inconnus, et je les ai transformés en véritables stars. Ce film était une toute petite production de la Titanus. A l’époque, la compagnie était au bord du gouffre. Ils ne pensaient pas que le film aurait eu un tel succès. I Due della Legione est sorti au cinéma sans le logo de la compagnie ! Seulement, quand ils ont réalisé que le film marchait bien au box office, ils ont décidé de le promouvoir avec la phrase suivante : « Titanus est fière de vous présenter les deux nouveaux grands comédiens : Franco & Ciccio. » Je me rappelle que Modugno était envieux de leur succès ! Parfois, je me dis qu’on se rappellera de moi pour Un Americano a Roma et pour les films de Franco et Ciccio, on ne sait jamais… Durant ces années, avec Franco Franchi, j’ai aussi tourné Un Uomo da Ridere pour la Rai 2, mais personne n’en parle. C’était un bon programme télé avec Gloria Paul, Silvio Spaccesi pour la première fois à l’écran et Mario Merola.
Est-ce difficile de faire rire les gens ?
(très sérieux) Bien plus difficile que de faire peur.
Après vos comédies, vous vous êtes mis aux films d’épouvantes. Un des premiers est Le Venin de la peur…
J’ai eu beaucoup de problèmes avec Le Venin. La censure m’a attaqué pour la scène des chiens mutilés. Ça se voyait que les chiens créés par Carlo Rambaldi étaient des faux. C’est un grand spécialiste des effets spéciaux, mais il a complètement loupé les chauves-souris… J’ai dû les refaire moi-même. Mais bon, c’est quelqu’un de très gentil quand même. Le problème avec les effets spéciaux, c’est de savoir comment les filmer, un problème de technique pure. Par exemple, Zemeckis sait parfaitement comment placer la caméra pour l’effet spécial. Dommage que Forrest Gump soit juste une pompe de Zelig. Ça ne mérite pas un Oscar.
Parlons de L’Emmurée vivante. Qui a une l’idée de départ pour le scénario, vous ou Dardano Sacchetti ?
Moi et Gianviti. Sacchetti nous a apporté une idée merveilleuse pour la fin du film, le son du carillon… Je me souviens avoir eu de gros problèmes avec le scénario que nos producteurs Luigi et Aurelio de Laurentiis n’aimaient pas. Ils m’ont demandé : « peut-on le transformer en un film d’espionnage ? » (rires) Mais par la suite, je suis arrivé à un accord avec Fulvio Frizzi, qui était le directeur commercial de Rizzoli. Il a pris la responsabilité de produire mon film. Malheureusement, L’Emmurée vivante a été un gros échec parce que certains génies chez Rizzoli pensaient que c’était une bonne idée de sortir le film en été. J’aime beaucoup L’Emmurée vivante mais mon préféré reste La Longue nuit de l’exorcisme.
Vous avez réalisé de très bons westerns spaghetti. A quel point aimez-vous ce genre ?
Je l’aime. J’ai fait quatre westerns spaghetti, mon meilleur est Les Quatre de l’Apocalypse, un autre film produit par Rizzoli. Un classique.
Avez-vous une anecdote sur la production de L’Enfer des zombies ?
Nous avions trois petits producteurs, mais très honnêtes. Ils n’ont lésiné sur rien du tout. Giannetto avait tous les moyens pour faire de bons effets spéciaux.
Votre âge d’or a été celui de la célèbre trilogie entamée avec Frayeurs.
(furieux) J’en ai marre de tous ces critiques qui parlent de « Trilogie ». Je pense que mon véritable âge d’or, c’est le début des années soixante-dix, avec Perversion Story, La Longue nuit de l’exorcisme… Mais oui, bien sûr, le début des années quatre-vingt m’a apporté beaucoup de célébrité. Une chose que je voudrais dire c’est que pour mes films, j’ai toujours choisi des acteurs, pas des stars. Je hais les stars. Pour L’Au-delà, nous avons pris David Warbeck parce qu’il ressemblait à Jack Nicholson. Warbeck, Paolo Malco… il n’y a pas de différence. Ils ne sont pas Peter Lorre, ils sont juste bons pour les films d’horreur.
Parlez-nous de L’Eventreur de New York.
Un bon film. Ça a été un succès au box office. Nous l’avons entièrement tourné à New York. C’était amusant de faire la scène avec l’œil de la prostituée arraché par une lame de rasoir, un très bel effet spécial que j’ai fait avec Di Girolamo. Je l’ai retrouvé sur le tournage de Zombi 3…
Ce film est très mauvais !
Vous voyez, je ne renie aucun de mes films, sauf Zombi 3. Mais ce film n’est pas le mien. C’est le plus ridicule de ma filmographie. Il a été fait par un groupe d’idiots tels que Claudio Fragasso – un crétin né – Bruno Mattei – qui avant de devenir « réalisateur » était peintre en bâtiment – et un type nommé Mimmo Scavia – le directeur de production – qui, arrivé aux Philippines, n’avait qu’une seule chose en tête : baiser de jeunes orientales. J’ai refusé de finir Zombi 3. J’ai pris l’avion et suis revenu à Rome. A l’écran, on ne voit que cinquante cinq minutes réalisées par moi, et c’est à cause de Fragasso qui changeait sans arrêt mon script. « On peut pas faire ci, on peut pas faire ça… » La seule chose dont je suis fière, c’est de la scène du crâne vorace.
Pourquoi vous ne nous parlez pas de votre expérience dans l’Heroic Fantasy avec Conquest ?
Conquest… C’était un film que les producteurs voulaient faire à tout prix parce qu’il y avait Jorge Rivero, un des acteurs les plus importants du Mexique. Ils m’ont demandé de faire un film préhistorique. J’ai essayé de faire un film sur l’amitié entre Rivero et Occhipinti. On n’y trouve pas le thème typique des dinosaures… Je l’ai tourné tout en contre-jour, avec des images brumeuses, avec l’aide d’un grand cameraman, un Espagnol nommé Alexandro Ulloa. Bon, Conquest a été un échec en Italie, mais au Mexique, les gens ont fait la queue pour acheter leur place ! C’est parce que ce Jorge Rivero est tellement célèbre.
Vous avez fait ensuite 2072 – Les Mercenaires du futur.
Je dois dire que c’est un très bon sujet de Sacchetti et ça parle de l’omniprésence de la télévision. La télévision nous harcèle jusqu’à ce qu’on devienne un héros. C’est la clé de lecture de 2072 – Les Mercenaires du futur. Une excellente idée pour un film d’anticipation, mais je ne suis pas très satisfait du résultat. Je voulais créer un Rome du futur dans lequel les monuments anciens étaient recouverts par de gigantesques dômes en plexiglas. Le producteur, Amati, m’a imposé les gratte-ciels. Ridicule. C’est un grand producteur, mais il a ses goûts à lui …
Quant à Murderock, pourquoi avez-vous contaminé le giallo avec le film musical ?
Avec Murderock, je suis parti de l’idée d’une femme qui veut inventer un assassin pour se venger des personnes qui l’ont blessée. Le producteur est venu me voir pour me demander de transformer mon giallo en film musical, à cause du succès de Flashdance… Alors il m’a imposé la musique de Keith Emerson, mais je ne suis pas du tout satisfait de son travail.
En 1986, vous filmez votre premier film érotique, Le Miel du diable.
J’aimais bien le scénario, qui a été écrit par une femme. Ensuite j’ai découvert qu’il était pompé sur un sujet que d’autres personnes auraient dû tourner pour une autre compagnie de cinéma. J’étais intrigué par l’idée d’une relation sado-masochiste, mais c’est pas du porno. A la fin du film, on voit une arme dans le coin de la chambre ; ça veut dire que pour moi, ce genre de couples finit toujours dans le sang. Il n’y a pas de futur pour ces personnes-là. Le Miel du Diable n’est pas à oublier.
Et Nightmare Concert ?
Je pense que c’est mon film le plus divertissent des années quatre-vingt dix. L’idée centrale du film a été copiée par M. Craven pour son Freddy sort de la nuit.
Pourquoi avez-vous intégré des scènes d’autres films réalisés par d’autres réalisateurs ?
C’était un groupe de films que j’ai supervisé, la série « Lucio Fulci présente ». Il y a un très mauvais film à moi qui s’appelle Les Fantômes de Sodome et un petit bijou qui s’appelle Soupçons de mort. Il y a une fin merveilleuse à la Edgar Allan Poe ; c’est l’ombre qui est à l’origine des meurtres.
Demonia ?
Un film merveilleux, ruiné par une très mauvaise photographie. Voilà. Après Demonia, j’ai fait deux bons téléfilms, House of Clocks et The Sweet House of Horrors, produits par ReteItalia mais jamais diffusés, à cause de l’échec des premiers de la série réalisés par Lamberto Bava. Le meilleur, c’est House of the Clocks. Le second part sur une très bonne idée, avec ces fantômes obligés de rester dans la maison parce que les enfants veulent qu’ils restent. Mais le film est mauvais.
J’ai lu que vous étiez très fier de Voix profondes.
Je l’aime énormément. C’est un film merveilleux avec un mauvais casting. Karina Huff est désagréable, Del Prete est complètement hors du rôle, la belle-mère est trop méchante et on comprend immédiatement que c’est elle la tueuse. Voix profondes est une adaptation d’une de mes histoires.
Parlez-nous de Le Porte del Silenzio, j’ai entendu dire que Joe D’Amato l’avait remonté.
(en colère) Conneries. Il n’a pas le droit de parler, il ne m’a même pas payé ! Il a changé la musique, ce qui est une grosse erreur. Elle était parfaite pour mon film. Récemment, j’ai été invité à un festival à Londres où ils ont projeté le film avec la musique originale. Ça a été un succès incroyable. C’est un film extraordinaire.
Peut-être, mais ce n’est pas un film commercial.
Je me fous du public. J’ai dit à Aristide (Massaccesi) de ne pas le faire, mais il a insisté. Il est tourné en temps réel, quatre-vingt dix minutes. Je voulais insérer un chronomètre pour visualiser le temps qui passe, mais Aristide l’a enlevé.
Le pseudonyme ridicule sur l’affiche ne vous a-t-il pas énervé ?
Laissez-moi vous expliquer. C’est la faute d’une femme qui a mauvaise haleine, un être méprisable qui s’appelle Lucaroni. Elle a dit à Aristide : ”En ce moment, Fulci n’est pas très vendeur… Appelons-le Simon Kittay.” Même les Japonais m’ont demandé d’expliquer ce choix. Elle ne travaille plus pour Massaccesi de tout façon, hah !
Pouvez-vous nous parler un peu de votre prochain film, Le Masque de cire. Est-il produit par Dario Argento ?
Le film est produit par Giuseppe Palombo, l’associé d’Argento. Je crois que nous commençons à tourner en septembre. Quant à l’histoire, je peux vous dire que ce n’est pas une copie carbone de House of Wax, qui nous a évidemment inspiré. Notre histoire se déroule en 1915 à Turin. Le protagoniste est un artiste frustré qui tue et qui devient un monstre, à cause des fautes de la société.
Avec votre Masque de cire, avez-vous l’intention de revenir au film gore ?
Nous avons sept ou huit scènes ultra violentes. Le premier qui n’a pas peur peut aller se suicider!!!
Une dernière question. Parlez-nous de votre nouveau livre, qui va bientôt sortir en Italie.
Je viens de finir l’écriture de mon deuxième livre, Miei Mostri Adorati. Il y a des histoires courtes et plusieurs anecdotes de cinéma. Je prépare un roman qui s’appelle Caccia Agli Angeli Cadut.
Merci pour ce rare entretien, qui montre Fulci dans sa « veine » la plus « sanguine » et laisse imaginer (ou confirmer) l’ambiance électrique, très latine, de ses tournages – pas du Pialat, mais presque…