Giovanni Lombardo Radice alias John Morghen – acteur (Frayeurs)
Giovanni Lombardo Radice alias John Morghen aime se faire appeler Johnny. Un seul film lui aura permis d’entrer dans le panthéon fulcien : Frayeurs ! Son personnage de Bob y est victime de l’intolérance et de la sauvagerie humaine en se faisant transpercer la tête. Cette scène, parfaitement montée, est devenue une image iconique du cinéma d’horreur italien. Rencontre avec cet acteur de théâtre, galant et courtois, lors d’un entretien effectué entièrement en français dans le texte.
Comme ça se faisait souvent à l’époque, on vous a demandé de trouver un nom anglo-saxon. D’où vous est venu le vôtre, John Morghen ?
Morghen était le nom de famille de ma grand-mère maternelle, Mme la Comtesse Adele Gherardini Morghen (si on l’appelait Mme la Comtesse, elle faisait un geste d’ennui, mais elle adorait ça). Elle était florentine par les Gherardini (la famille de la Monna Lisa de Da Vinci) et les Morghen étaient une famille allemande de fameux graveurs. Mon ancêtre Raffaello Morghen est enterré dans l’Eglise de Santa Croce à Florence avec Michelangelo et Galilée. Elle avait été élevée dans un collège en France et préférait parler français. Ainsi, j’ai appris cette langue dès ma naissance, en même temps que l’anglais et l’italien. Vous pouvez imaginer que mon choix d’employer le sacré nom de la famille pour des films de l’horreur n’a pas rencontré son approbation.
Comment êtes-vous arrivé sur le tournage de Frayeurs ?
Frayeurs a été mon deuxième film. Je crois que Fulci avait vu La Maison au fond du parc ou alors c’est peut être Ruggero Deodato qui lui avait parlé de moi. À l’époque, le monde du cinéma de l’horreur était petit ; ils se connaissaient tous.
Est-ce vrai que votre rôle devait être tenu par Michele Soavi ?
Oui, c’est Michele qui devait jouer Bob ! Avant de le connaître, j’avais vu un film avec lui où il était très bien. Mais jouer ne l’intéressait pas tellement. Il voulait être metteur en scène et il a accepté de jouer dans un petit rôle, en échange d’un poste l’assistant. Quand il m’a vu la première fois, il a dit : « Ah bon, tu es le salaud qui m’a volé mon rôle ! » Mais il plaisantait. Nous sommes devenus grands amis.
Qu’est-ce qui vous a plu l’un chez l’autre ?
Nous venions tous les deux de « grandes familles » et nous nous rebellions contre ce qu’on avait décidé pour nous. Et puis c’était chimique, je ne sais pas… Pendant des années, nous avons été cul et chemise, toujours ensemble. Je le vois très peu maintenant, mais chaque fois que nous nous retrouvons, nous redevenons aussitôt intimes. Je le vois comme quelqu’un d’un autre monde, une espèce de follet.
Vous avez évoqué le poste d’assistant de Michele Soavi… En quoi consistait son rôle sur le plateau ?
Il faisait un peu de tout. Il arrêtait les voitures dans les extérieurs, il appelait les acteurs sur le plateau… Bref, il faisait ce qu’on lui commandait.
Catriona McColl a souvent dit qu’au début, elle avait presque honte d’avoir tourné des films d’horreur. Vous, vous semblez très à l’aise avec cela, même si vous n’aimez pas regarder ce genre de films. Quel état d’esprit aviez-vous en tournant pour tous ces réalisateurs : Deodato, Lenzi, Fulci ?
D’un côté, j’avais extrêmement besoin d’argent parce que je jouais et je dirigeais au théâtre pour presque rien. La famille (c’est-à-dire mes grands-parents qui étaient riches) m’avait rejeté. Dès mes dix-sept ans, je me suis débrouillé tout seul… Et le cinéma, en comparaison avec le théâtre, ressemblait au Paradis. De l’autre côté, avec l’aide de Sergio Salvati, j’ai commencé à développer un rapport très intense avec la camera. Mon rapport avec les réalisateurs variait selon leur caractère. J’ai aimé Deodato, Fulci et surtout Antonio Margheriti et j’ai détesté de tout mon cœur Lenzi et Fabrizio De Angelis.
Frayeurs est un film qui repose essentiellement sur le visuel. Alors, qu’y avait-il d’écrit dans le scénario concernant votre personnage ?
Beaucoup de choses. Le scénario était très détaillé et j’ai pu me faire une idée très précise de Bob.
Est-il vrai que votre personnage devait être bossu et que vous avez fait changer Fulci d’avis ? Pourquoi cela ?
Oui, c’est vrai et ils avaient même déjà préparé une bosse à me mettre. J’avais peur de ressembler Marty Feldmann dans Frankestein Junior ! Alors, j’ai décidé d’en parler à Fulci, même si on m’avait dit qu’il avait un très mauvais caractère. Je lui ai dit que je pouvais tordre mon épaule moi-même et il a répondu : « Fais voir ». Je l’ai fait, avec en tête le Richard III de Shakespeare et il a conclu : « Très bien, sans bosse.» Ensuite, je l’ai entendu marmonner quelque chose comme : « Et ils disent qu’il ne faut pas employer les gens de théâtre… » Dès lors, je me suis dit que j’allais bien m’entendre avec ce monsieur.
Vous avez dit que pour préparer un rôle, vous vous inspiriez de la zoomorphie. Alors, une question se pose : à quel animal pensiez-vous pour composer le rôle de Bob ?
Bob était un oiseau long et maigre, une cigogne peut-être. Elles sont souvent sur une seule patte, ce qui fait qu’elles ont une « épaule » plus haute que l’autre.
Fulci savait-il exactement les plans qu’il allait tourner en arrivant sur le tournage ?
Je crois que oui. Il était très professionnel, très organisé bien loin de l’image stéréotypée du génie fou.
Venons-en à cette fameuse scène où une machine vous perce la tête. Tout d’abord, comment s’est passée la fabrication de votre fausse tête ?
Ça a été la pire partie de tout le tournage ! À l’époque, on réalisait ça en mettant une incroyable quantité de ciment sur la tête de l’acteur. Fallait rester avec ça sur le visage pendant une heure en respirant grâce à des pailles dans le nez. Affreux… J’ai cru mourir ! (Rires)
La scène est très découpée. Elle a nécessité deux jours de tournage, je crois. Est-ce que ça a été difficile ?
Moi je me souviens d’un jour seulement. Difficile, oui, mais pas tellement en fait. Ma mort dans Pulsions Cannibales de Margheriti a été beaucoup plus compliquée et dangereuse.
Et combien d’heures cela demandait-il pour vous transformer en zombi ?
Ça aussi a duré un jour seulement ; et heureusement ! Le maquillage durait des heures et la dernière touche consistait à utiliser de la confiture d’oranges pour donner l’idée de la putridité…
Mais que faisiez-vous pendant ce temps ?
En attendant, dans la roulotte, Antonella Interlenghi a fait un joint avec une herbe terrible. Nous étions complètement à l’Ouest et nous nous regardions en criant… Ah, jeunesse, jeunesse…
Fulci était quelqu’un d’assez colérique. Chez les acteurs, il y a ceux qui le trouvaient très gentil et ceux qui le détestaient. Qu’est-ce qui fait, selon vous, que Fulci aimait tel acteur et détestait un autre ?
Moi je suis du côté « gentil ». Je crois qu’il respectait le professionnalisme et détestait l’arrogance. Je suis du même avis.
Comme beaucoup d’autres, vous dites qu’il était un homme très cultivé. Quel genre de discussion on pouvait avoir avec lui dans ce domaine ?
Cela concernait surtout le cinéma bien sûr. Il avait travaillé avec Luchino Visconti et moi, j’adorais Visconti ! Je lui ai posé beaucoup de questions sur lui. Il parlait aussi de Totò et des acteurs avec qui il avait travaillé. Il y avait des tas de choses. Nous parlions théâtre également. Il respectait beaucoup le fait que j’en venais et il me posait des questions sur les répétitions, sur l’argent, l’organisation….
Si vous deviez garder un seul bon souvenir avec Lucio Fulci, quel serait-il ?
La fête chez moi dans la grande maison que j’avais à l’époque. Les affiches de théâtre étaient dans le salon et celles des films d’horreur dans la salle de bain. Il y avait vingt personnes à cette soirée : Duccio Tessari, Giuliana De Sio, Franco Nero je crois… Et il est allé dans les toilettes puis est sorti en criant : « Mes amis je suis dans les WC !!! » (Rires)
Portrait de Giovanni Lombardo Radice : Federico Riva
Laisser un commentaire