La Guerre des gangs – livret DVD Ecstasy of Films
Notes de production
Pré-production
Peu après L’Enfer des zombies, Lucio Fulci se voit proposer un polar par la société Primex de Sandra Infascelli. Il est alors loin de se douter que sa fausse suite du Zombies de Romero va devenir un succès mondial, notamment aux Etats-Unis. En attendant, il a besoin d’argent et accepte ce nouveau contrat malgré son peu d’estime pour les poliziottesci, les néo-polars italiens en perte de vitesse à la fin des années 70.
Sujet imposé pour Fulci : raconter l’histoire d’un contrebandier à Naples, berceau de la Camorra. A ce stade, le projet s’intitule simplement Il Contrabbandiere (Le Contrebandier).
Après avoir lu dans un journal un article détaillé sur le sujet, il travaille sur une première version de scénario avec Gianni De Chiara et Ettore Sanzò. Le premier écrit l’histoire autour de la Camorra tandis que le deuxième se charge des scènes de violence, point sur lequel Lucio Fulci insiste tout particulièrement. Mais le cinéaste n’est pas satisfait du résultat jugé trop bancal. Il fait alors appel à Giorgio Mariuzzo pour restructurer le récit. Ce dernier a alors réalisé le western Une Fille nommée Apache (1976) et deviendra par la suite un co-scénariste régulier de Fulci.
Pour mener à bien la production de son film, Lucio Fulci peut compter sur sa squadra de rêve, celle avec qui il signera ses films les plus connus. Elle se compose de Sergio Salvati à la photographie, Franco Bruni à la caméra, Ugo Celani au son, Massimo Lentini aux costumes, Fabio Frizzi à la musique et Vincenzo Tomassi au montage.
Casting
Luca – le rôle titre – est interprété par Fabio Testi qui retrouve ici Fulci cinq ans après le western crépusculaire Les 4 de l’apocalypse. Le bellâtre italien est alors au firmament de sa gloire. Il alterne avec succès les « films d’auteur » tels que Nada (1974) de Claude Chabrol ou L’Important c’est d’aimer (1975) d’Andrzej Zulawski, les polars comme La Poursuite implacable (1973) de Sergio Sollima tout comme des westerns avec China 9 Liberty 37 (1978) de Monte Hellman.
Marcel Bozzuffi est choisi pour interpréter « Le Marseillais », redoutable trafiquant de drogue. L’acteur français d’origine italienne a démarré sa carrière aux côtés de Jean Gabin dans les films de Gilles Grangier. En 1966, il se fait remarquer dans Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville avec Lino Ventura, mais c’est son rôle de tueur dans Z (1968) de Costa-Gavras qui lui confère une stature internationale. Il enchaîne avec French Connection (1971) de William Friedkin et devient un second rôle de choix dans les polars français et italiens dont Cadavres exquis (1976) de Francesco Rosi où il retrouve Lino Ventura.
Perlante, le chef des contrebandiers, est interprété par Saverio Marconi, déjà aperçu dans Profession garde du corps (1975) de Tonino Valerii où il joue le frère de Fabio Testi. Il est surtout reconnu comme l’acteur principal de Padre Padrone des frères Taviani, Palme d’or à Cannes en 1977.
Le reste du casting est plus anecdotique. Adele, la femme de Luca, est jouée par Ivana Monti dont la carrière est surtout télévisuelle.
Habitué aux films de mafia napolitains comme Les 5 de la section spéciale (1978) ou Assaut sur la ville (1977), Enrico Maisto joue ici Micky, le frère de Luca. Il apparaît également dans Calibre Magnum pour l’inspecteur (1979) au même titre que Ferdinando Murolo et Tomaso Palladino, respectivement Sciarrino et Capece dans le film de Fulci. A noter que Tomaso Palladino est aussi aux génériques d’Assaut sur la ville et d’Opération casseur (1976) d’Umberto Lenzi, film dans lequel Guido Alberti tient un petit rôle. Ce dernier, qui joue le Parrain Don Morrone dans le film de Fulci, a fait quelques apparitions dans Les Grands fusils (1973) avec Alain Delon et Spasmo (1974) d’Umberto Lenzi.
Second couteau habitué aux films de Dino Risi (Le Femme du prêtre, 1971), Georges Lautner (Les Tontons flingueurs, 1963) et Gérard Oury (La Folie des grandeurs, 1971), Venantino Venantini apparaît ici dans la peau du Capitaine Tarantino. La même année, dans Frayeurs, il sera le père furieux qui tue Bob, le simplet amoureux de sa fille, en lui perçant le crâne avec une foreuse.
Le Capitaine de la police n’est autre que Fabrizio Jovine, le père Thomas qui se pend au début de Frayeurs. Il tient aussi le rôle du commissaire dans L’Emmurée vivante du même Fulci.
Tournage
La production démarre le 3 décembre 1979. Les extérieurs sont tournés à Naples tandis que les intérieurs sont créés aux studios De Paolis à Rome.
Le tournage se déroule normalement durant deux semaines, puis l’argent vient à manquer. Des tensions se créent et Fabio Testi menace même de quitter le film s’il n’est pas payé. Mais lors du tournage de l’enterrement fluvial, Lucio Fulci est invité par des inconnus à se rendre dans une boîte de nuit. Arrivé sur les lieux, il est conduit dans une grande pièce occupée seulement par quatre hommes qui en encadrent un cinquième, un certain Gianni Bilcream. Ce dernier, très courtois, lui propose d’aider la production afin de terminer le film. Fulci accepte et quelques jours plus tard, de l’argent provenant des commerçants de Naples vient renflouer les caisses. En échange, les « bienfaiteurs » – qui s’avèrent être des contrebandiers – obtiennent de la production l’abandon du titre Violenza (Violence) voulu par Fulci, jugé trop négatif et imposent Luca il Contrabbandiere (Luca le contrebandier). Ils font également accentuer le discours anti-drogue du film afin d’amoindrir la gravité de la contrebande de cigarettes aux yeux des spectateurs.
Déjà à l’œuvre sur La Longue nuit de l’exorcisme et Le Venin de la peur (1971), Franco Di Girolamo s’occupe des effets spéciaux. Il rencontre toutefois un problème pour le plan où Ofelia Meyer se fait brûler le visage au chalumeau par « Le Marseillais ». La production ayant peu de moyens, les effets doivent être effectués directement sur les acteurs, ce que supporte mal Meyer. Par amitié pour Fulci, Giannetto de Rossi – il a déjà travaillé sur L’Enfer des zombies notamment – vient retourner le trucage. Il utilise deux caméras ainsi qu’une vitre pour protéger le visage de l’actrice de la chaleur. Cependant, Giannetto de Rossi ne sera pas crédité au générique du film.
Le cinéaste, quant à lui, apparaît lors de la fusillade finale dans la peau d’un homme de Don Morrone.
La production se termine en mars 1980, mais Lucio Fulci affirmera ne jamais avoir été payé.
Sources :
Il terrorista dei generi – Tuto il cinema di Lucio Fulci de Paolo Albiero et Giacomo Cacciatore, Un Mondo a Parte, 2004
Il cinema del dubbio: intervista a Lucio Fulci, Marcello Garofano et Antonella De Lillo, Nocturno dossier n.3, septembre 2002
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Analyse
Deux mondes qui s’affrontent
La Guerre des gangs repose sur la confrontation classique entre deux clans très clairement opposés : le protagoniste en la personne de Luca, le gentil contrebandier et l’antagoniste représenté par « Le Marseillais », redoutable trafiquant de drogue. Comme souvent chez Fulci, la police est reléguée au second plan, ce qui permet au cinéaste de ne pas alourdir son récit par des justifications de procédures judiciaires.
Luca est un bon père de famille, un mari aimant et un frère reconnaissant, autant de qualités humaines indiscutables gagnant la sympathie du public. S’il œuvre dans la contrebande à Naples, c’est parce que seuls le chômage et la misère lui étaient proposés à Milan. L’activité de Luca est certes illégale, mais c’est par instinct de survie, pour offrir à sa famille un niveau de vie décent. En outre, les contrebandiers, comme lui, semblent apprécier l’art. Que ce soit chez lui ou chez son frère ennemi Sciarrino, les tableaux ornent les murs des maisons et le Parrain Don Morrone vit dans une vaste demeure où statues, tableaux et fresques se côtoient. Micky, tel un enfant devant les courses de chevaux, possède lui-même un étalon qu’il aime comme son fils. Certains contrebandiers font les courses pour leurs femmes, d’autres vont à l’église… Tous se portent finalement garants d’une certaine morale. Malgré des tensions avec Micky, Sciarrino clame qu’il n’aurait jamais pu le tuer, le respectant trop. C’est d’ailleurs lui qui met en garde Luca de la décadence du milieu.
Cette décadence est symbolisée par « Le Marseillais », l’exact opposé de Luca. Dès sa première apparition, le ton est donné. On le découvre en gros plan avec, en amorce, la flamme d’un chalumeau. Le feu, image de l’enfer, caractérise à la fois le personnage et la drogue décrite dans le film comme le Mal absolu. Comme par opposition aux maisons de Luca, Sciarrino ou encore Don Morrone, la pièce dans laquelle il se trouve est délabrée, les tableaux sont abîmés. « Le Marseillais » n’a ni famille, ni amis, ni morale. Il peut tuer ou torturer sans aucun scrupule comme le prouve la scène où il brûle le visage d’Ingrid, sous prétexte que l’allemande le trompe sur la marchandise qu’elle lui propose.
Une idéologie douteuse ?
Il est vrai que, globalement, La Guerre des gangs présente une image assez flatteuse des contrebandiers. La première apparition de Don Morrone est même placée sous le signe du divin puisqu’un mouvement de caméra part d’un ange peint sur le plafond pour arriver sur le Parrain assis devant son téléviseur. Le Ciel protège le contrebandier qui lui-même protège la ville et ses habitants. En effet, lui et les siens déciment le gang du « Marseillais » pour maintenir la paix sociale dont ils sont garants et tenir la drogue à l’écart de Naples. L’argument avancé n’est pas d’ordre financier (en s’emparant de leur réseau, le « Marseillais » pourrait tuer leur commerce) mais d’ordre moral : la drogue tue les enfants. Le chef de la police semble lui-même se faire à l’idée que la contrebande de cigarettes est un moindre mal face aux cruels trafiquants de drogue. Lors de la scène finale qui se déroule sur un marché, le chef de la police va jusqu’à remercier le Parrain pour son aide, sans lui reprocher ses activités illégales. Mais puisque les extérieurs ont été tournés à Naples même ( avec l’accord implicite de la Camorra locale) et du fait de l’implication des contrebandiers dans la production, il aurait été difficile de faire de La Guerre des gangs un plaidoyer contre la contrebande. Quant aux cigarettes, la lutte anti-tabac n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.
A cela s’ajoute un soupçon de xénophobie car le film opposerait les gentils contrebandiers italiens aux trafiquants de drogue étrangers. Par définition, le « Marseillais » est français et Ingrid est allemande. Alors, La Guerre des gangs serait-il un film à l’idéologie douteuse, où Lucio Fulci aurait abandonné ses convictions par besoin financier ? « Mes films sont violents mais pas racistes, clame-t-il pourtant en 1988. J’ai lutté toute ma vie contre le racisme. Je n’aime pas ces polars avec Maurizio Merli que réalisent les spécialistes Umberto Lenzi et Stelvio Massi. Ils prônent le fascisme. J’ai refusé d’en tourner. Même sans une lire pour manger, j’aurais toujours refusé. » (1)
Si le trafiquant de drogue est marseillais, c’est parce que la cité phocéenne fut l’un des berceaux de la « French Connection » qui inspirera le film homonyme. Ce n’est d’ailleurs pas anodin si Marcel Buzzoffi, qui joue le tueur dans le film de William Friedkin, a été choisi pour le rôle du trafiquant impitoyable.
Mais le contre-argument à cette allégation est sans conteste le personnage de Perlante. Italien, « patron » des contrebandiers de cigarettes dont fait partie Luca, il trahit pourtant ce dernier afin de travailler pour le « Marseillais ». Son portrait contraste avec celui de son protégé. Perlante vit la nuit, dans les discothèques, un verre d’alcool à la main, entouré de jeunes filles différentes chaque soir. Déviant, il pousse son bras droit à avoir une relation sexuelle avec une fille dans sa propre chambre et Luisa, la grande femme noire qui l’accompagne, est interprétée par Ajita Wilson, célèbre actrice transsexuelle du cinéma pornographique.
Quant à l’image d’Epinal des contrebandiers, Lucio Fulci la prend avec ironie à travers le personnage de Don Morrone dont la prestance est loin du charisme imposant de Don Vito Corleone dans Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola. Arborant un peignoir sur lequel sont inscrites ses initiales, il est montré tel un vieil homme qui passe son temps à zapper les chaînes de télévision jusqu’à trouver un bon vieux western. Quant à la fusillade finale qui permet à Luca d’affronter en duel « Le Marseillais », elle est menée par les contrebandiers de l’ancienne génération qui apparaissent et disparaissent dans le décor tels des personnages de cartoon. L’apparition de Lucio Fulci dans la peau d’un des leurs finit de convaincre de la distance mise par le cinéaste.
Luca, l’antihéros
Le cinéaste prend aussi ses distances avec l’auto-défense et l’image du pistolero à travers son personnage principal, comme il l’avait fait avec son western Les 4 de l’apocalypse. Les deux films mettent en vedette Fabio Testi dans des rôles assez proches. L’acteur italien joue des hommes « propres sur eux », charmeurs, non violents mais évoluant dans un monde en décomposition qui va les pousser à la sauvagerie… et à perdre ainsi leur humanité. Chacun des personnages voit la femme qu’il aime violée avant de finir par tuer le sadique de l’histoire, les deux mains sur la gâchette alors que l’adversaire est désarmé.
« Impuissant » : tel est l’adjectif qui pourrait définir Luca. Il assiste à la mort de son frère puis à celle du gardien de la soufrière sans intervenir. Sa femme se fait enlever puis violer pendant qu’il est au téléphone avec les ravisseurs. Alors qu’un véritable héros serait allé lui-même retrouver sa femme, ce sont les policiers qui la découvrent tandis que Luca s’occupe du « Marseillais ». Mais s’il peut affronter le trafiquant, c’est grâce à l’intervention des contrebandiers qui ont décimé tout le gang auparavant. Quant au duel, il est peu glorieux puisque « Le Marseillais » ne peut plus se défendre et que Luca manque plusieurs fois sa cible malgré tout.
Au final, le vrai « héros » du film n’est autre que Don Morrone, dont l’intervention dénoue toute l’histoire C’est d’ailleurs lui que remercie le chef de la police dans la scène qui clôt le film et au cours de laquelle il est présenté comme une personne aimée de la population.
La contamination du genre
Le parallèle entre Les 4 de l’apocalypse et La Guerre des gangs n’est pas surprenant car au début des années 70, les poliziottesci remplacent les westerns alors en perte de vitesse dans l’industrie du cinéma populaire italien. Le pays traverse une crise politique importante avec une vague d’attentats et les succès de films américains comme French Connection (1971) ou L’Inspecteur Harry (1971) suscitent un intérêt certain pour le polar, transposition du western dans la société contemporaine (2). A première vue, La Guerre des gangs s’inscrit très bien dans le genre. Sous fond de trafic de drogue, l’intrigue s’articule autour d’une histoire de vengeance avec au programme : code de l’honneur, fusillade et duel final. La scène d’arrestation des contrebandiers, ou la séquence des meurtres commis par les hommes du « Marseillais », sont quant à elles fidèles à l’aspect réaliste voulu par les poliziottesci. Mais alors, y a-t-il contradiction avec les propos de Fulci lorsque ce dernier se défend de l’influence néfaste de ses films sur les spectateurs ? « Je pense que les films policiers avec Clint Eastwood sont beaucoup plus dangereux pour les jeunes. Mes films ne sont que des cauchemars à la fin desquels on se réveille, soulagé et détendu. Je crois que le cinéma fantastique est profondément libérateur, pour les jeunes en particulier, du fait de cette « participation populaire ». (3)
En fait, avec La Guerre des gangs, Lucio Fulci aborde le polar italien comme il avait transfiguré le western européen avec Les 4 de l’apocalypse ; en lui donnant une aura horrifique, voire fantastique.
Fulci contamine d’abord le genre par une explosion démentielle de la violence graphique. La Guerre des gangs est en effet construit comme un film d’horreur avec des séquences d’exécutions explicites. Visage fondu au chalumeau, boîte crânienne explosée par un coup de feu, visage éclaté à la mitraillette ou encore torture à l’arme blanche (rappelant justement le supplice du shérif dans Les 4 de l’apocalypse ).
Cette violence germe dans un univers cauchemardesque malgré les deux séquences « réalistes » précitées. Sans avoir recours au fantastique directement, Lucio Fulci s’en approche comme, par exemple, dans la séquence où Luca torture l’homme qui a tué son frère dans un bateau abandonné. Suite à une collision, le bateau est incliné, ce qui donne au décor des perspectives étranges dans l’esprit du Cabinet du docteur Caligari (1920), film fondateur de l’expressionnisme allemand. Au bleu azuréen estival de Naples, le réalisateur préfère son hiver livide, avec son ciel délavé et ses nuages inquiétants, le tout souligné par une image remarquable de Sergio Salvati. Le film s’ouvre sur le port de la ville derrière lequel s’élève le Vésuve, menaçant, comme préfigurant l’éruption prochaine de la violence. Mais au-delà de son image symbolique, le volcan permet à Fulci de filmer une scène à l’esthétisme onirique ; celle de la mort du gardien de la soufrière. La séquence s’ouvre sur un panoramique qui balaie la soufrière dont la fumée émanant du sol donne un aspect post-apocalyptique au décor. Dans ce premier plan, aucune présence humaine physique, juste le souffle léger du vent et la voix du gardien qui résonne comme dans un mauvais rêve. Après avoir donné les informations à Luca sur la mort de son frère, le gardien se fait sauvagement poignarder par un homme surgi de nulle part. Car, dans La Guerre des gangs, les contrebandiers meurent ainsi : un tueur apparaît subitement tel un zombie de Frayeurs pour en exécuter un, que ce soit dans un hippodrome ou à la sortie d’une église.
Luca est lui-même filmé comme un vivant « mort » dès lors que son frère est assassiné. Il a le teint blafard, les yeux creusés, le regard vide. Lorsqu’il tue « Le Marseillais », il est noyé dans la fumée de ses tirs, apparaissant tel un spectre vengeur dans un surcadrage qui rappelle la forme de certains vitraux d’église.
Mais la mort n’est pas seulement graphique, elle est aussi symbolisée par l’eau, comme dans L’Au-delà et Le Porte del Silenzio. C’est sur des mannequins flottant sur l’eau que le chef de la police vide son chargeur après la course poursuite avec les contrebandiers. C’est dans l’eau que chute Micky après avoir été exécuté par de faux policiers, et son corps sera d’ailleurs immergé en mer. C’est aussi dans l’eau que Luca jette deux de ses adversaires : le tueur dans la soufrière et le trafiquant dans le bateau abandonné.
Mise en scène
Lorsqu’il tourne La Guerre des gangs, Lucio Fulci a déjà 20 ans de carrière en tant que réalisateur, autant d’années passées à parfaire sa mise en scène. Le réalisateur romain aime le mouvement et à défaut de gros budgets, il se voit souvent obligé de privilégier le zoom au travelling. Mais au lieu de faire du zoom le travelling du pauvre, il l’intègre dans sa mise en scène et va souvent l’associer à ses mouvements de caméra. Cette technique lui permet de dynamiser son plan et d’éviter par la même occasion le diktat du champ-contrechamp comme en témoigne, par exemple, le plan-séquence où Luca et Adele se disputent pour la première fois.
Dans cette même logique de détournement, il change nettement de mise au point à l’intérieur même d’un plan lorsque Luca fait sa déposition après la mort de son frère. Il s’agit du premier plan de la scène. Luca est de profil, flou, en amorce sur le côté droit tandis que l’assistant du procureur qui l’interroge apparaît net et de face. La mise au point bascule ensuite pour se focaliser sur Luca qui répond. En fait, le contrebandier refuse de coopérer préférant régler cette histoire lui-même. Ce rejet est caractérisé par le flou qui sépare les deux hommes et par leurs regards qui ne se croisent pas. Luca finira par regarder son interlocuteur à la fin de la scène mais Fulci ne montrera pas le contrechamp.
Mais une scène en particulier souligne le talent de Fulci pour susciter le malaise sans avoir recours à la violence graphique : celle du viol d’Adele. Elle permet de mettre en lumière la précision de la mise en scène de deux séquences mythiques de son œuvre, surtout réputées pour le maquillage : celle de l’écharde dans l’œil dans L’Enfer des zombies et celle de la foreuse qui traverse un crâne dans Frayeurs. Pour chacune d’entre elles, le cinéaste utilise le montage alterné afin de réduire progressivement la distance entre la victime et son agression certaine. Dans La Guerre des gangs, Adele est maintenue sur une table, dénudée, promise à un viol anal, son corps tiré progressivement vers son violeur. Par des coupes rapides, le montage alterne en boucle quatre éléments : la victime dont le fessier est déformé par la panique, son agresseur qui la tire irrémédiablement vers lui, « Le Marseillais » qui est l’oreille de Luca en tenant le combiné téléphonique et enfin Luca, le témoin auditif impuissant. A défaut de pouvoir (et certainement de vouloir) montrer une pénétration comme conclusion de sa séquence, Lucio Fulci fait arracher le scotch sur la bouche d’Adele qui laisse échapper un cri d’entre les morts pour faire comprendre le moment fatidique.
Malgré ses qualités et sa cohérence dans l’œuvre de Lucio Fulci, La Guerre des gangs n’a pas encore la réputation qu’il mérite. Son premier défaut est d’être sorti alors que le cinéaste connaissait sa période la plus glorieuse, celle des morts-vivants. Ensuite, il est un rejeton tardif d’un genre, le poliziottesco, qui n’a pas encore la reconnaissance du giallo par exemple, et que Fulci lui-même n’appréciait pas particulièrement. Cela explique certainement pourquoi il ne récidivera pas dans le genre malgré toute l’affection qu’il portait à son film.
Car La Guerre des gangs n’est pas une parenthèse dans la filmographie du cinéaste ni un film honteux au milieu de classiques. Il s’agit du film solide qui s’inscrit parfaitement dans son genre tout en y détournant certains codes, comme le fait souvent Lucio Fulci. En effet, si le réalisateur se décrit comme un « terroriste des genres », ce n’est pas pour décrire la violence qu’il injecte dans ses films. Cette expression guerrière retranscrit cette volonté d’affirmer une personnalité et un univers singuliers dans une industrie qui produisait des films à la chaîne. La sortie de La Guerre des gangs pour la première fois en DVD en France est un pas supplémentaire vers cette reconnaissance.
(1) http://www.luciofulci.fr/pages/interviews_impact13.html
(2) Cette filiation, Fulci l’assume dans La Guerre des gangs en quelques clins d’œil. Don Morrone ne regarde que des westerns à la télévision, l’enfant de Luca aime aller à l’hippodrome voir les chevaux et Adele suggère à Luca d’emmener son fils voir un western au cinéma.
(3) http://www.luciofulci.fr/pages/interviews_ecranfantastique16.html
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