Conclusion : Rommel à l’envers (version française inédite)
…Après Murderock, j’ai dû m’absenter des plateaux de cinéma à cause d’une maladie, après laquelle je suis revenu avec Le Miel du diable. Ce film, je l’ai fait en désespoir de cause, parce que je me remettais de cette maladie qui m’avait laissé pour mort aux yeux de beaucoup de gens… c’était une hépatite virale qui s’est développée en cirrhose. C’est le premier film qu’on m’a proposé, et je m’estimais heureux d’avoir cette opportunité. Il ne s’agit pas d’un film porno, mais plutôt d’un film sur le désespoir, la misère sado-masochiste… Personne ne l’a compris, alors il a été très mal accueilli, bien que le film soit largement supérieur à ce qui se fait habituellement avec un budget aussi petit.
Vous savez, Fritz Lang a dit qu’il avait fait La Femme au Gardénia parce que même s’il est l’auteur de chef-d’œuvres tels que Metropolis, il devait manger ! La plupart d’entre nous gagne moins que les jardiniers de Celentano ! De même, pauvre Mario Bava, le grand Mario Bava a dû faire un film alimentaire juste avant sa mort, Doctor Goldfoot and the Girl Bombs, avec Franchi et Ingrassia.
J’ai toujours eu plus de problèmes avec les petits budgets qu’avec la censure… Corman dit : « Nous faisons des films pour ceux qui vont au cinéma l’été. » N’ayant pas d’argent à gaspiller à cause de cela, nous sommes plus courageux que les autres réalisateurs. En Italie, les films à petits budgets ne sortent qu’en août, alors c’est à cette période-là que sortent les films fantastiques. On est obligé de les voir avec l’air conditionné ou en transpirant. On ne peut jamais voir un bon film fantastique avec sa petite copine avec un bon chauffage, pendant l’hiver, ou durant une nuit pluvieuse. Même les films Américains sortent l’été, parce qu’en Italie, il n’y a pas la culture « fantastique. » On a les comédies qui dominent le marché et puis les films d’auteur. C’est pour ça que l’industrie d’Etat est inquiète pour le concept des films et dépense 50 millions de Lires chaque année pour produire un bon film et 150 expériences de Stefania Casini ou Simono Izzo.
Vous avez eu à faire avec la dérision des critiques…
Les critiques ! Petri a dit quelque chose de très intelligent à propose de ça, qu’en Italie, toute la technique a constamment changé : la lumière a changé, la façon de filmer, et maintenant avec l’avènement des gadgets électroniques, les télés Hautes Définitions et tout les reste… la seule chose qui n’a pas changé, ce sont les critiques ! Il avait assez raison, parce que les choses n’ont pas bougé depuis Aristarco. Le cinéma fantastique est mort en Italie, tandis qu’en France, il y a dans les trente magazines dédiés au genre. En Italie, celui qui veut écrire sur ce genre de films est considéré comme un idiot, parce qu’on porte trop d’attention à Kezinch, un critique terrible qui ne comprend rien au cinéma. C’est pour ça que nos jeunes réalisateurs n’ont pas eu la chance de développer un langage, parce qu’ils sont trop occupés avec le contenu. Ophuls m’a dit une chose très importante : « D’abord, apprends à écrire, ensuite tu peux dire ce qui t’intéresse. » Je parle du langage de la caméra. Nos jeunes réalisateurs n’ont malheureusement pas développé ce langage. Le fantastique, malheureusement ou peut-être devrais-je dire Dieu merci ! – n’est pratiqué que par deux ou trois réalisateurs, comme Lamberto Bava, le jeune Soavi et Marcello Avallone, les deux derniers ayant été mes assistants et qui sont aujourd’hui de bons réalisateurs à part entière. Nous verrons ce qu’ils feront dans le futur, parce qu’avec le cinéma fantastique, ils ne seront découverts que quand ils seront vieux. Pour le moment, ils sont trop jeunes pour être découverts par les critiques.
Cette situation vous a forcé à faire deux films controversés qui n’ont pas été souvent vus et, dans le cas d’Aenigma, même pas distribué un an après sa production…
Aenigma est un des meilleurs films que j’ai fait ces dernières années. C’est l’histoire d’une fille dans un lycée, une histoire comme Carrie, dans laquelle il y a deux personnages – une femme laide qui se venge sur ses bourreaux en prenant possession du corps d’une belle femme. Malheureusement, le producteur n’a pas eu le courage de distribuer le film en Italie alors qu’il s’est très bien vendu à l’étranger, même aux USA.
On dit que vous avez accepté Zombi 3, que vous n’avez pas terminé, juste pour payer vos dépenses médicales…
Il est vrai que je n’ai pas fini ce film, mais cela n’avait rien à voir avec ma maladie… c’est le genre de choses qui peuvent arriver avec une personnalité aussi indépendante que la mienne, ce qui ne veut pas dire que je sois morose ou que j’ai une grande gueule… toutes ces choses que j’ai entendues sur moi. Je ne suis pas riche, alors je peux me permettre de ne pas m’en soucier. J’ai pas de BMW à entretenir. Parce que j’ai un style de vie simple, dans un petit village, je peux avoir du bon temps… Je peux être un Rommel à l’envers !
Durant le tournage de Zombi 3, j’ai eu droit aux disputes habituelles, mais j’ai fini un montage du film qui durait 75 minutes. Nous avions un problème avec le script et nous ne pouvions pas le changer, parce que l’auteur, un nul complet, était un bon ami du producteur, Franco Gaudenzi. Lui, c’est quelqu’un de très sympathique mais il ne comprenait rien à ce qui se passait. Tandis que nous filmions dans les Philippines, ma fille et moi changions le script furtivement, petit à petit, mais finalement j’ai demandé au producteur de partir du projet, et il a été terminé par Mattei que je ne connais pas… lui et Fragasso, l’auteur, ont ajouté d’autres scènes.
Après Zombi 3, vous avez fait des téléfilms…
… pour Alfa Cinematografica. J’en ai fait deux, Les Fantômes de Sodome et Soupçons de mort, ce dernier étant un petit chef-d’œuvre à petit budget. Le titre vient de Conversations de Virginia Woolf à propos d’Alice et du révérend séducteur d’enfants. Elle dit que si Alice devait briser le miroir, tous les fantômes de ses cauchemars la détruiraient. J’aime vraiment ce film !
Vous êtes crédité en tant que « présentateur » et auteur des effets spéciaux sur The Red Monks mais il nous semble qu’il y a un conflit derrière tout ça…
Je suis actuellement en litige avec cette affaire… c’est une escroquerie totale. Le producteur, qui est un de ces types avec lesquels il ne faudrait jamais travailler, m’a demandé comme une faveur de « superviser » et « présenter » son film sans même l’avoir visionner. Comme mon agent était un grand ami de ce producteur, j’ai accepté une rémunération insignifiante pour associer mon nom au film. Mais il s’est avéré qu’ils essayaient de me faire passer pour l’auteur de ce film. C’est affreux… rien à voir avec un film de Fulci. Je n’ai même jamais eu une seule conversation téléphonique avec le type qui l’a tourné. Je poursuis tous ceux qui sont impliqués dans cette honteuse escroquerie faite sur mon nom.
Vous êtes aussi crédité sur La Malédiction céleste…
Ce n’est pas la même chose… J’étais en très bonne relation avec le producteur Ovidio Assonitis. J’ai tourné presque tous les effets spéciaux et j’ai été très bien payé. Le réalisateur, David Keith – il a joué dans Officier et Gentlemen – était un type bien. Il m’a dit que certains effets spéciaux n’auraient pas été possibles sans ma participation.
Comment a été votre expérience avec Rete Italia ?
Excellente ! Il y a des plans magnifiques sur lesquels j’ai travaillés avec un très bon cameraman, Nino Celeste. The House of the Clocks et The Sweet House of Horrors font parti de mes meilleurs films. Le premier raconte l’histoire d’une maison qui remonte dans le temps, quand le père de toutes les horloges meurt. Le second, c’est l’histoire de deux enfants et de deux fantômes, qui ne veulent pas quitter la maison dans laquelle ils ont été tués. Les fantômes et les enfants veulent rester ensemble et celui qui veut vendre la maison doit les combattre… Je ne vous raconterai pas comment ça se termine, je vous laisse le plaisir de le découvrir par vous-même.
Quand verrons-nous ces deux films ?
Demandez à Rete Italia… la série a été vendu dans le monde entier, mais nous n’avons toujours pas de date de diffusion en Italie.
Vous aimez travailler pour la télé ?
Oui, beaucoup. D’une certaine façon, c’est plus dur que de faire des films pour le cinéma, parce que les téléspectateurs se distraient plus facilement, et vous devez travailler plus dur pour garder leur attention.
Parlez-nous de Nightmare Concert…
C’est un film très atypique qui a été tourné en 16 mm puis transféré en 35. Je l’ai écrit, réalisé et j’y joue également. C’est l’histoire d’un réalisateur de films d’horreur tourmenté par des cauchemars… si on tourne ce genre de films, on doit montrer ses cauchemars. Dans ce film, les cauchemars du réalisateur sont exploités par un véritable assassin.
Quel rôle central le cinéma a-t-il joué dans votre vie ?
Faire des films, c’est tout ce que j’ai toujours fait. En fait, j’entraîne ma fille à suivre mes pas… un jour, elle réalisera ses propres films. Depuis Voix Profondes et Le Porte del Silenzio, j’ai écrit mon autobiographie Fulci Breaks the Looking-Glass pour Granata Press.
Allez-vous continuer à faire des films ?
Je l’espère… Un jour, on a demandé à Clair : « Que ferez-vous après ce film ? » et il a répondu : « Un autre film ! » Je peux au moins dire que j’ai été reconnu de mon vivant, bien que je ne sois plus tout jeune maintenant, je suis presque un zombie moi-même ! Je suis le seul survivant de ce groupe légendaire de réalisateurs de films d’horreur… Freda ne tourne plus et Mario Bava est mort. Maintenant, il n’y plus que moi et l’autre type, vous savez, le « génie. » Mais parfois, on se rappelle des artisans longtemps après que les génies soient oubliés.
Argento, qui se cache probablement sous ce sobriquet de « génie », dut apprécier…