Larry Ray – acteur/assistant production (L’Au-delà)
L’Au-delà est sans conteste le film le plus connu de Lucio Fulci, le plus apprécié. Nombre d’images iconiques en est extrait : le lynchage du peintre, le mystérieux symbole, Emily sur le Pontchartrain Causeway vide ou encore le final à la beauté éternelle. Ainsi, le film a fait l’objet de multiples analyses et surinterprétations. Son tournage a même été raconté parfois par Fulci lui-même mais aussi par sa squadra ou ses acteurs depuis une dizaine d’années. Mais jusqu’à présent, le point de vue américain sur la fabrication du film a souvent été négligé. Voici donc un entretien avec Larry Ray, un journaliste et acteur américain qui s’est retrouvé assistant du producteur lors du tournage aux Etats-Unis après avoir été le traducteur lors des premiers repérages à la Nouvelle-Orléans…
Comment avez-vous intégré l’équipe de tournage de L’Au-delà ?
Je venais de mettre fin à 20 ans de journalisme télé et de production, et m’apprêtais à créer ma société de production vidéo, TELEventure. J’étais donc libre. C’est à ce moment-là que Jo Beth Bolton, la Présidente de la Louisiana State Film Commission, m’a appelé parce qu’une production italienne faisait des repérages dans la région. Or, personne de l’équipe ne maîtrisait l’anglais. Comme je suis bilingue et que je connais bien la Louisiane, elle a pensé à moi. J’ai d’abord rencontré le producteur, Fabrizio De Angelis, un véritable gentleman, puis j’ai aidé Sergio Salvati et Lucio Fulci à trouver les lieux de tournage. J’ai accompli cette mission sans lire une ligne du scénario d’ailleurs.
Nous nous sommes très bien entendus, ils m’ont apprécié et m’ont demandé de travailler à plein temps sur le film aux USA.
A quel poste ?
Je suis devenu l’assistant du producteur. Je m’occupais de toutes les choses possibles et imaginables. Je trouvais des figurants, gérait l’argent qui venait d’Italie, servait de traducteur auprès des autorités locales, etc. Il faut dire que le budget était minuscule… Comme tout producteur qui se respecte, De Angelis était un jongleur. Je travaillais aussi en étroite collaboration avec David Pash, le directeur de production, un type formidable.
Quels étaient les différents lieux de tournage ?
Les acteurs et toute l’équipe logeaient à l’International Hotel qui se trouvait sur Canal Street, en centre-ville de la Nouvelle-Orléans. Le très joli hôtel appartenait à des fils d’Italiens qui avaient immigré de la Sicile à la Nouvelle-Orléans. Les nouveaux membres de l’équipe qui restaient pour un ou deux jours dormaient aussi là-bas.
Le tournage des extérieurs jour et nuit à la Nouvelle-Orléans avaient lieu dans le French Quarter, également appelé le Vieux Carré. Nous avons aussi tourné sur Orange Street dans une partie historique de la ville pour la scène de la maison barricadée ainsi que sur le campus de l’Université Dillard. Nous y avons utilisé le bâtiment principal de l’administration avec ses colonnes larges et longues pour l’extérieur de l’hôpital où Warbeck se rend avec précipitation. En face du French Quarter, nous avons tourné dans le cimetière historique Saint Louis Number One. Parce que la ville, et plus particulièrement le Vieux Carré est construite sur un sol marécageux, les cercueils ressurgissent à la surface après une grosse pluie. Alors, tout enterrement se fait sur terre dans des caveaux en briques. Nous avons engagé le jeune prêtre d’une église catholique du coin pour la scène des obsèques.
Et l’hôtel ?
Alors, le tournage s’est ensuite déplacé à Lake Pontchartrain, à côté de Madisonville en Louisiane, dans le Fairview Riverside State Park où se trouve la Otis House. Cela veut dire que les acteurs et l’équipe technique faisaient plus de 77 km par jour pour venir travailler depuis la Nouvelle-Orléans. Il y avait quatre ou cinq vans pour le transport. J’ai embauché les traiteurs pour le tournage en centre-ville et d’autres lorsque nous étions dans la Otis House.
On connaît l’équipe italienne du film. Mais qu’y avait-il parmi les américains ?
Joe Catalanotto, un producteur indépendant de la Nouvelle-Orléans, a été embauché au dernier moment après l’annulation soudaine du film sur lequel il devait travailler. C’était un petit film d’horreur dont le titre devait être The Scream. Nous avons eu la possibilité de l’avoir avec son équipe, ce qui était génial pour lui et son équipe, mais aussi pour Fulvia Film. Joe était une légende et possédait une gamme assez large de fourgons, de lumières, de générateurs et tout le matériel nécessaire pour le tournage. « Little Joe » était déjà bien installé et reconnu sur la Côte Ouest et à New York pas seulement pour son matériel de production et son personnel bien formé mais aussi pour son travail avec des équipes de production réduites. C’était un homme plein d’énergie et tout le temps occupé. Les Italiens l’aimaient parce qu’il venait d’une famille italienne et avait un grand sens de l’humour en plus d’être un professionnel expérimenté. Il savait trouver de l’électricité n’importe où, même dans des conditions parfois dangereuses.
J’imagine que vous ne connaissiez pas Lucio Fulci avant de travailler sur L’Au-delà. Quelle a été votre relation avec lui ?
En effet, je ne le connaissais pas. Je dois dire que j’ai passé de très bons moments avec lui. Cependant, il était assez mystérieux, lunatique.
C’est-à-dire ?
Il pouvait crier sur le tournage mais il savait jusqu’où il pouvait aller parce qu’il connaissait bien son équipe. Ils avaient déjà fait plusieurs films ensemble. Fulci avait besoin de marquer son territoire. Je me rappelle que pour la scène dans la maison barricadée, il avait fait une crise parce qu’il voulait une glace. Nous avons envoyé quelqu’un en acheter une. La lumière était prête, les acteurs aussi, mais Fulci ne voulait pas tourner tant qu’il n’avait pas sa glace. Le maquillage commençait à couler dans la chaleur humide de la Nouvelle-Orléans. Sa glace arrivée, il a engueulé la personne pour le retard ! En fait, Fulci était comme un enfant, il aimait crier tout le temps « Action ! Action ! » et quand une idée lui passait par la tête, il disait « Hé ! Essayons ça ! »
Sur le plan artistique justement, ça se passait comment ?
Le scénario ne faisait que trois pages avec une histoire un peu différente du film. Fulci trouvait toujours de nouvelles idées. Je vous donne un exemple. A 100 mètres de la Otis House qu’on a utilisé pour l’hôtel du film, il y avait un lac long et étroit. On nous avait donné l’autorisation de tourner les extérieurs et les intérieurs de cette maison historique. Lucio Fulci ou Sergio Salvati a eu l’idée d’utiliser la petite partie du lac avec des pirogues pleines d’hommes en colère tenant des torches. Cela a donné de très beaux reflets sur l’eau et des générateurs de fumée ont donné une atmosphère parfaite. Alors, beaucoup de ces scènes ont été pensées et ajoutées dans un travail collectif entre Lucio, David Pash et l’équipe de tournage.
Cette séquence a donc été tournée aux Etats-Unis ?
Oui, pour une partie, le reste a été tourné à Rome. J’ai trouvé toutes les personnes pour jouer les villageois. David Pash joue le meneur de la bande qui a une torche dans la main et qui mène la foule dans l’hôtel jusque dans les escaliers. Les plans où la foule se précipite à l’intérieur, monte les escaliers jusqu’au moment où elle se trouve devant la porte avant d’attaquer le peintre pour le torturer, c’est le tournage américain. Puis, le reste de la scène où ils surgissent dans la chambre a été tourné en Italie avec des acteurs différents des corpulences similaires et portant les mêmes costumes. L’action est homogène. Le vieux réceptionniste noir qui transpire et qui regarde les hommes entrer dans l’hôtel impuissamment s’appelait Johnny Burton je crois. Il vivait dans une petite maison sur la route qui menait au parc. C’est là qu’on a vu son vieil utilitaire déglingué. On lui a loué pour la scène où le plombier arrive à l’hôtel avec sa caisse à outils. Je crois que l’idée de lui faire jouer ce petit rôle venait de David Pash.
Pour info, les deux vieilles voitures qui arrivent devant l’hôtel ont aussi été utilisées dans La Petite (Pretty Baby, 1978) de Louis Malle.
Mais la maison qui a été transformée en hôtel pour le film n’était pas si délabrée, si ?
Otis House est une demeure historique avec un très beau plancher bois et des meubles d’origine hors de prix. Les Italiens ont voulu la vieilir. Pour cela, ils l’ont aspergée d’eau colorée. Jusque là, rien de grave avec ce procédé pour « vieillir » la maison. Mais pour une raison que j’ignore, ils ont jeté du ciment sec et du sable sur le sol de la maison, ce qui l’a rongé et rayé. Or, c’étais moi le responsable auprès des officiels de State Park parce que j’avais aidé l’équipe à obtenir l’autorisation. Il faut dire qu’elle appartient à l’Etat de Louisiane. Ils sont devenus fous quand ils ont vu l’état dans lequel les Italiens ont laissé la demeure. Fabrizio m’a finalement donné de l’argent pour que je m’occupe de la restauration du lieu.
Comment est née la scène sur le Pontchartrain Causeway ? Elle n’était pas dans le scénario non plus…
Exactement. En fait, chaque jour, comme je vous l’ai déjà dit, l’équipe faisait des allers-retours sur ce pont entre la Nouvelle-Orléans et les lieux du tournage. Les 77 km quotidiens de pont ont dû le travailler car un jour il est arrivé avec l’idée d’y tourner une scène. Bloquer les deux voies du pont semblait impossible, même pour deux heures, mais c’est ce que voulait Fulci. Je me suis rendu à la commission qui gère le pont accompagné de Fulci bien entendu. Je crois qu’il y avait aussi Salvati, De Angelis et Cinzia Monreale, la fille qui joue l’aveugle donc. Fulci avait un anglais très approximatif alors j’ai parlé pour eux. J’ai présenté le film comme une production importante tournée par le Hitchock italien et dont la scène sur le Pontchartrain Causeway est le point central du film. Je connaissais un des membres de la commission, Bobby Ragsdale. Il aimait ce que j’avais fait à la télévision et dans une filiale de CBS. C’est pour cela que nous avons eu l’autorisation de bloquer un côté du pont… pour un peu plus de deux heures !
Nous avons fait en sorte de tourner tous les plans dont nous avions besoin à temps. Puis avant de tout remballer, Fulci a demandé qu’on place la chaise du réalisateur au milieu du pont totalement vide qui s’étendait vers l’horizon. Fulci s’est assis dedans et a eu droit à plusieurs photos couleur puis le pont a pu être rouvert au trafic qui attendait !
Et tourner avec le chien, cela a-t-il été difficile ?
Non. Le plus difficile a été de trouver un berger allemand identique à celui choisi pour les scènes tournées en Italie. Le chien qui joue dans les plans au Etats-Unis s’appelait Max. Il était entraîné pour renifler les explosifs et appartenait au Shérif de Jefferson Parish. Il est resté d’un calme exemplaire malgré l’agitation du tournage et s’est très bien entendu avec Cinzia Monreale.
Mais quelle était l’idée de Fulci en filmant cette scène ?
Quand on est sur ce pont, on n’en voit pas la fin. Je pense que pour Fulci, cette chaussée au milieu de l’eau mène symboliquement vers l’au-delà.
Alors, vous avez eu le Pontchartrain Causeway vide. Comment avez-vous fait pour filmer le French Quarter complètement désert ?
Ça nous a coûté cher en argent liquide pour l’obtenir. Il a fallu le concours de la police pour barrer les deux rues principales du quartier afin d’avoir une rue pour l’installation technique et les camions qui servait de groupes électrogènes et le reste pour le tournage. On a dû frapper à la porte des habitants en avance pour leur expliquer ce que nous faisions. Au début, certains résidents n’étaient pas intéressés et nous disaient : « Foutez le camp ! » Puis ils se ravisaient quand on leur proposait de l’argent en liquide. Il a fallu être très psychologue.
Comment vous êtes-vous retrouvé à jouer le peintre Larry ?
Ahahah ! C’est très simple. Ça faisait quelques temps que je travaillais avec eux et un jour, ils sont venus me demander si je voulais jouer dans une petite scène – David savait que j’avais joué pendant des années dans une troupe de théâtre et que j’avais eu des petits rôles dans des films. J’ai appris que ma « petite scène » consistait à sauter de 8 mètres depuis un échafaudage sur un matelas « éclaté » utilisé pour les cascades. C’est un matelas large qui se dégonfle rapidement dès qu’on atterrit dessus. Mais il faut sauter sur le X au milieu du matelas ! Mais le plus difficile a été de tourner le plan où j’heurte le sol. J’ai dû sauter de la troisième marche d’un escabeau à plusieurs reprises, tout en cassant une capsule de sang au bon moment pour que le « sang » sorte du coin de ma bouche.
Je joue aussi dans la scène des araignées. Dans cette scène, il y en avait des vraies mélangées avec des fausses assez réalistes qui fonctionnaient électroniquement. Quand Michele Mirabella, celui qui joue l’architecte, a vu les vraies sortir de leur boîte, il a refusé catégoriquement de tourner les gros plans et ne souhaitaient pas non plus les avoir à proximité. On m’a alors dit : « Hé Larry, tu as peur des araignées ? » J’ai répondu que non et Maurizio Trani, ce merveilleux maquilleur, m’a mis cette barbe de trois jours. C’est comme ça que c’est arrivé. Cela m’a beaucoup amusé de tourner ce plan où on voit de mon nez à ma poitrine avec les araignées rampant jusqu’à mon menton. A propos, il y avait des « dresseurs » d’araignées spéciaux qui savaient faire tourner les tarentules à droite ou à gauche quand elles grimpaient sur mon visage en soufflant dans de longues pailles hors champ.
Mais cette scène n’a pas été tournée en Italie ?
Si, si. Après le tournage aux Etats-Unis, je suis allé deux semaines en Italie et suis donc passé sur le tournage. C’était à la Biblioteca della Società Geografica Italiana au mois de janvier je crois. Il faisait tellement froid à l’intérieur qu’ils ont réchauffé le sol marbré des lumières chaudes pour que les araignées puissent se déplacer dessus.
Vous êtes crédité sous le nom suivant : Anthony Flees. D’où vient ce pseudonyme ?
J’y suis totalement étranger. Je crois que les noms étaient simplement inventés (à part pour les acteurs principaux) après la vente de L’Au-delà au MIFED, vous savez, le marché international du film à Milan. Ils avaient besoin de noms et s’ils ne connaissaient pas les vrais noms des acteurs secondaires, ils les inventaient. Avant Anthony Flees, dans les premières sorties VHS, ils ont utilisé un autre nom, Eric Farber pour le rôle de Larry ! Il n’y avait pas de règle ni de contrôle pour ces films-là.
Comment Lucio Fulci dirigeait-il les acteurs anglophones puisque son Anglais était approximatif ?
David Pash était bilingue et, par conséquent, il était présent à toutes les lectures, répétitions et prises. Souvent, Fulci dirigeait en mimant, en faisant des grimaces et en faisant des mouvements avec son corps pour indiquer le genre d’expression qu’il souhaitait. Ça ne nécessitait pas beaucoup de parler après les répétitions et les lectures. Par exemple, Fulci était derrière la fenêtre de l’hôtel dans la scène où je vois les yeux qui me surprennent, provoquant ainsi ma chute de l’échafaudage du peintre. Je devais exprimer la terreur. Nous avons fait plusieurs prises de ce plan parce que Fulci criait tout le temps en agitant ses mains : « Non, non ! PLUS, PLUS ! »
Comment s’est passé le tournage avec David Warbeck et Catriona MacColl ?
C’étaient des acteurs très professionnels, alors il n’y avait pas beaucoup de problèmes et ils ne se plaignaient jamais. Nous avons tous passé un bon moment malgré un planning de travail serré. Pour ce qui concerne le tournage aux Etats-Unis, je n’ai pas été au courant de frictions ou de problèmes entre les acteurs et Fulci, ou qui que ce soit d’autre. David Warbeck a beaucoup aimé la Nouvelle-Orléans et a apprécié explorer et faire la fête durant ses nuits libres au French Quarter.
Vous avez dit que de nombreuses scènes ont été « trouvées » durant la production. Est-ce que le scénariste Dardano Sacchetti était sur le tournage pour les réécritures ?
Non, je n’ai aucun souvenir de ce monsieur. A part son nom sur le scénario minuscule qui servait de base au tournage, je ne me rappelle pas d’une implication de sa part dans la production. Du moins, pendant le tournage américain.
Les photos publiées dans cet entretien proviennent de la collection personnelle de Larry Ray.
Remerciement spécial à Marija Nielsen.
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