Lucio Fulci : « Je suis un monstre ! » Le grand retour du maître italien de l’horreur
Vous avez débuté en tant que journaliste de cinéma je crois ?
Non, j’ai été critique d’art moderne pendant deux ans. J’ai travaillé pour Portanaccio. Puis j’ai eu la passion pour le cinéma. J’ai étudié au Centro sperimentale del cinema, où j’ai été diplômé avec Nanni Loy, Maselli et Bolognini. Ensuite je suis devenu scénariste. J’ai écrit de nombreuses comédies dont un film culte de la comédie italienne : Un Americano a Roma avec Alberto Sordi. C’était son premier vrai rôle de comique pur. Il tournait en même temps I Vitelloni. Je travaillais beaucoup avec Steno, avec Bolognini, Monicelli, etc.
Et vous avez réalisé votre premier film avec Totò…
I Ladri ; le budget du film, c’était le cachet de Totò ! (rires)
Vous avez également tourné des comédies avec le couple de comiques Ciccio et Franco…
J’ai fait une vingtaine de films avec eux. C’est un couple historique pour le cinéma italien. Ils sont très curieux, personne ne les a bien étudiés. Ils sont pourtant très typiques de la comédie italienne pure. Mais j’ai vite été catalogué avec eux, et j’ai voulu sortir de la comédie. J’ai donc produit avec mon argent un western, Le Temps du massacre avec Franco Nero qui tournait en même temps Django. Nous avons eu un bon succès, et, surtout, j’avais réussi mon changement de genre. J’ai voulu refaire une comédie, mais les grands comiques comme Tognazzi et les autres se fichaient de moi. Alors, j’ai proposé mon premier thriller au producteur Amati, c’était Perversion Story, qui a obtenu un bon succès dans le monde entier. Et après Le Venin de la peur, j’ai découvert ma véritable voie : le thriller. C’est un genre qui n’existait pas en Italie.
Et Mario Bava ?
Oui, mais il n’avait aucun succès ; les derniers films de Bava, c’était des films avec Ciccio et Franco. Nous étions amis car il avait été directeur de la photo sur beaucoup de films avec Steno et Monicelli. Il n’a pas été connu en Italie de son vivant. Les Italiens étaient racistes avec les réalisateurs du genre. Heureusement que la France était là. Quand les Français ont découvert Freda ou Bava, les Italiens ont un peu changé d’avis. Mais Bava, c’était un génie. En Italie, il n’y en a que pour les comédies, et les films de Fellini, Antonioni, etc.
Mais quand vous faisiez Le Venin de la peur, vous connaissiez les films de Bava. Vous ne vous êtes pas inspiré de son style ?
Oui, je les avais vus, mais je ne m’en suis pas inspirés. Ensuite, j’ai connu un très gros flop, avec ce que je pense être mon meilleur film, Beatrice Cenci, que personne ne connaît. Puis, j’ai fait aussi la première production de la Medusa, La Longue nuit de l’exorcisme. Après, il y a eu Obsédé malgré lui, un film maudit que le gouvernement a interdit parce que Buzzanca, l’acteur du film, ressemblait au ministre Colombo en place à l’époque. J’ai fait un film pour les enfants, Croc Blanc (et sa suite), qui a eu un très gros succès. J’ai voulu encore changer de genre avec un autre western, Les 4 de l’apocalypse, où a vraiment commencé ma période onirique avec la photographie étrange de Salvati, avec qui j’ai fait ensuite tous mes films les plus importants. Malheureusement, il n’a pas du tout marché et je n’ai plus travaillé pendant deux ans. Et j’ai fait de la télévision pendant un an, avec une émission avec Franco ; tout seul sans Ciccio, pour la Rai. Mais je gagnais très peu d’argent, car à l’époque, il n’y avait pas encore Berlusconi, et la Rai ne payait pratiquement pas. Après ça, deux petits producteurs m’ont proposé un scénario qui s’appelait Zombi 2. Mais je n’ai pas voulu faire la suite du film de Romero, qui était un film sociologique sur des marginaux luttant contre la société. Moi, j’ai fait un film purement fantastique. Nous nous sommes beaucoup amusés à le tourner. J’ai reformé mon équipe de L’Emmurée vivante. C’est un film que j’ai fait avec énormément de plaisir.
C’est la première fois que vous faisiez un film aussi sanglant…
Non, il y avait déjà eu La Longue nuit de l’exorcisme et Le Venin de la peur.
Pourquoi avez-vous fait Le Chat noir ?
Pour rendre service à un producteur, et parce que je trouvais la version d’Ulmer très mauvaise, alors que je l’admire beaucoup. Mais c’est un film moyen.
Il y avait de très bons acteurs : Mimsy Farmer et Patrick Magee…
Elle, c’est une très bonne actrice, mais ne me parlez pas de Magee.
Pourquoi ?
C’est un alcoolique à 100%, il est mort d’ailleurs peu de temps après. Nous avons eu beaucoup de problèmes avec lui. Nous lui avons interdit l’alcool, mais il allait en boire dans les pubs. C’était malgré tout un très bon acteur.
Vous avez tourné une comédie avec la reine du fantastique, Barbara Steele. Pourquoi ne l’avez-vous pas utilisée dans un de vos films de genre ?
Parce qu’après avoir travaillé avec Fellini, elle n’a plus voulu rien faire. Elle avait accepté I Maniaci pour des raisons d’argent. Une fois que les acteurs tournent avec Fellini, ils ne connaissent plus personne.
Que pensez-vous de Manhattan Baby, qui est assez mauvais ?
Je ne l’aime pas. Je n’aimais pas le sujet. Je l’ai fait, car j’avais un contrat avec un producteur étranger, et je devais payer une grosse pénalité si je ne le tournais pas. Après, je suis tombé gravement malade, j’ai eu une hépatite virale qui m’a bloqué pendant plus d’un an. Et j’ai recommencé avec Le Miel du diable, un film sur le sado-masochisme que j’aime beaucoup. Il a seulement coûté 40 millions de lires.
Je trouve que l’histoire d’Aenigma est très proche de Phenomena et Carrie…
Si il y a une histoire à laquelle ce film se rapproche, c’est celle de Patrick. Un critique italien m’a demandé un jour : « mais ton film, c’est quoi, Carrie ou Patrick ? », et je lui ai répondu : « C’est Patrick, Carrie, Fulci et les autres ! » (Rires.) C’est normal que beaucoup de films ressemblent à d’autres, sans être finalement la même chose. Là, c’était une histoire de vengeance d’une personne oubliée.
Il me semble qu’avec Nightmare Concert vous fassiez un grand comeback…
Non, ce n’est pas un comeback, mais c’est un film que j’aime particulièrement. Il s’agit d’un splatter, qui résume en fait toutes mes expériences de cinéaste. C’est l’histoire d’un réalisateur de films d’horreur, souffrant d’horribles cauchemars causés par son métier : par exemple, il ne peut plus manger de viande hachée car ça lui rappelle trop ses films (rires) ; s’il voit un bûcheron en train de scier un arbre, il devient fou, etc. Il y a, bien sûr, de nombreuses références à mes anciens films. A un moment donné, ce cinéaste n’en peut plus, il n’arrive plus à supporter ses cauchemars : il mélange passé, présent et futur. Il décide alors d’aller consulter un psychiatre afin de se débarrasser de tous ses problèmes. En vérité, le psy a des ennuis avec sa femme qui projette de divorcer. Alors, il décide de la tuer par l’intermédiaire du réalisateur en l’hypnotisant, suivant la technique du docteur Caligari, de manière à ce que les meurtres soient les citations des crimes de crimes de ses propres films. J’ai pensé que le splatter a besoin d’une trouvaille en plus, c’est un genre que j’avais abandonné avec mes dernières œuvres, car même Aenigma n’avait pas la construction d’un splatter. J’ai tenté de me rapprocher de la structure d’un film comme La Mouche de Cronenberg, qui a apporté un côté humain à l’atmosphère glacée des films d’horreur. Je ne voulais pas faire un splatter conventionnel à la Argento, où à la Bava. C’est un film assez original, une histoire de cauchemars, et de faits étranges, et non un récit de vengeance qui accumule les cadavres par dizaines. Ce genre est maintenant révolu.
Nightmare Concert ressemble un peu à un film-testament…
Oh non ! Je suis en pleine forme. C’est un hommage à mes anciens films, dans le sens où c’est moi le principal protagoniste. Hier soir, j’ai vu un sympathique montage à la télévision des trente-six apparitions d’Hitchcock. Je me suis un peu souvenu de mon cher ami Truffaut dans La Nuit américaine. Et je pense que, pour les films d’horreur, le nom des acteurs n’est pas important ; c’est plutôt l’histoire et les effets qui priment.
Parce que vous aviez toujours fait de petites apparitions dans vos films…
…Oui, un peu par économie, comme Hitchcock, et un peu parce que ça m’amusait. Il y a en fait dans Nightmare Concert, trois sortes d’acteurs : les acteurs du film (avec Brett Halsey, un de mes interprètes favoris avec qui j’ai fait Le Miel du diable et dernièrement Demonia) que le réalisateur tourne ; les acteurs de la « réalité » : moi, le psy, sa femme ; et les acteurs de cauchemars, l’une des parties les plus fascinantes du film !
Pourquoi le sous-titre du film est-il intitulé : « Un chat dans le cerveau » ?
C’était le titre original, que je préfère personnellement, mais le vendeur à l’étranger a choisi Nightmare Concert. Dans le film, il y a une séquence où un chat me dévore le cerveau, c’est la scène imaginaire qui provoque mes cauchemars.
Qui a réalisé les effets spéciaux ?
Pino Ferrante, qui me suit depuis quelques années (Aenigma, Demonia, et deux téléfilms : The House of Clocks et The Sweet House of Horror produits pour Berlusconi !)… Les effets sont superbes ! (à ce moment-là, sa fille rentre dans son bureau, et Lucio nous la présente.) Ma fille Camilla doit bientôt réaliser son premier film, elle va être l’une des rares réalisatrices du genre en Europe. Ça sera un film d’horreur, très curieux, mystique. Elle continue sur les traces de son père. Camilla travaille avec moi depuis huit ans. Et maintenant, elle a trouvé un beau sujet, très curieux et fantastique.
Pensez-vous qu’elle retrouvera votre style ? Un peu comme Mario Bava a légué le sien à son fils Lamberto.
Oui, sauf que Lamberto n’a rien hérité de son père ! Camilla a travaillé avec tellement de réalisateurs. Techniquement, elle est très préparée. En général, c’est ce qu’il manque aux jeunes réalisateurs, la technique. Elle m’apporte sa limpidité de vision. Elle est très limpide, très schématique, et s’occupe aussi très bien du casting.
Ça n’a pas été trop difficile de diriger et d’interpréter le film en même temps ?
Non, ça s’est assez bien passé.
Cronenberg a aussi un rôle dans Cabal…
Oui, dans le film de mon ami Clive Barker. Il a heureusement des budgets plus importants que les miens. A Avoriaz, nous étions souvent ensemble.
N’avez-vous pas peur, avec les différents types de séquences – réalité, film dans le film et cauchemars – de rompre le rythme du film ?
Quand vous verrez le film, vous vous rendrez compte qu’il est très compact et autonome. Parce que toutes ces séquences se croisent très bien.
Mais vous avez quand même conservé votre goût si particulier du macabre…
Oui, mais souvent en rajoutant un peu d’ironie. Le défaut d’un Lamberto Bava, qui a fait une série de téléfilms plus mauvais les uns que les autres, c’est ce manque de second degré. J’ai voulu reformer un peu l’équipe de la grande époque, avec notamment Fabio Frizzi à la musique.
Mais pourquoi n’avez-vous pas retrouvé le scénariste Dardano Sacchetti et le producteur Fabrizio De Angelis ?
Dardano Sacchetti m’a envoyé de très mauvais scénarii, et Fabrizio De Angelis produit et réalise maintenant des films de série Z.
Quelles sont vos scènes préférées de Nightmare Concert ?
Toutes. (Rires.) Les fantômes qui apparaissent, les meurtres. C’est un film très simple mais très varié en effets spéciaux.
Y a-t-il une part d’autobiographie ?
En réalité, le film se passe dans un petit village à côté de Rome, où j’ai vécu pendant pas mal d’années, et, à un moment, je passe devant mon ancienne maison, où maintenant habite ma fille. C’est un village où je me trouvais très mal. Je ne l’aimais pas. D’ailleurs, je suis arrivé un peu de mauvaise humeur. Mais il n’y a pas vraiment de part autobiographique. A l’instar de L’Enfer des zombies, et de toute la série, c’est un film que l’on a fait en s’amusant, l’équipe était constituée d’amis. Il en est de même pour les deux téléfilms de House of the Doom où j’ai un grand directeur de la photo, Nino Celeste. Par contre sur Demonia, nous ne savions jamais ce que nous allions tourner le lendemain. Il y a même des amis de Palerme qui m’ont donné un coup de main !
Pouvez-vous nous parler de Demonia ?
C’est un très bon film. Mais il ne sortira peut-être jamais, car le producteur n’a payé personne, et j’ai bloqué le film. C’est l’histoire d’une fille qui est possédée par une religieuse morte il y a six cents ans. Nous l’avons tourné entièrement en Sicile, l’endroit était très curieux.
Ce n’est pas un splatter…
Pas vraiment, mais il y a sept ou huit effets spéciaux assez choc. La protagoniste est une actrice américaine qui ressemble à Grace Kelly.
Pouvez-vous nous parler de Soupçons de mort ?
C’est l’histoire d’un jour invétéré qui, pour alimenter son vice, séduit de riches veuves, et les tue après les avoir dépossédées de leurs biens (il mélange leur chair à de la nourriture animale, ou bien utilise de l’acide sulfurique pour faire disparaître les corps !). Tout semble aller bien pour lui, jusqu’au jour où il se rend compte qu’une sorte de « double » commet des crimes analogues, mais en laissant toutes les traces explicites de ses forfaits ! Je l’ai réalisé en 1988 pour la vidéo et la télé.
Et Les Fantômes de Sodome ?
Trois couples fascinés par la beauté d’une vieille demeure décident d’y passer la nuit. Ils ignorent malheureusement que, durant la Seconde Guerre Mondiale, cette villa était utilisée par des officiers allemands à des fins diaboliques, lesquels officiers furent tous tués par une bombe y explosant un soir de 1943. Leurs fantômes errent à présent dans ce lieu, et s’acharneront sur les nouveaux venus. Il fait parti de la même série que Soupçons de mort. Ce devait être à l’origine une série de plusieurs films. Le producteur, Carlo Alfieri, ne comprenait rien et interrompait les tournages pour un oui ou un non !
Ils n’ont aucun rapport avec House of Doom les téléfilms pour Berlusconi ?
Non, pas du tout. The House of Clocks est une histoire de bandits qui cambriolent la maison d’un vieux couple amoureux des montres, ils les tuent par hasard. A ce moment, tout va à reculons, et tous les péchés se retournent contre ces bandits. L’autre, The Sweet House of Horror, est l’histoire de deux enfants dont les parents sont assassinés ; leur oncle et leur tante décident donc de vendre la maison. Mais il se passe des choses étranges (disparition d’objets, fantômes, etc.) et ils n’arrivent pas à vendre la maison. En réalité, ce sont les parents qui, ne voulant pas qu’on les éloigne de leurs enfants, lutte contre la vente de cette maison. Ce sont deux films très amusants que j’aime beaucoup.
Il y a beaucoup de scènes érotiques dans vos récents films : Le Miel du diable, Les Fantômes de Sodome…
Pas beaucoup, par rapport aux films de maintenant, mais je ne le fais pas pour des raisons commerciales. C’est sûr qu’un film comme Les Fantômes de Sodome doit avoir du sexe pour justifier le titre. Le Miel du diable, je l’ai fait juste après ma grave maladie, et je trouve que c’est un de mes films les plus intrigants. Beaucoup l’ont catalogué comme un film sexy ; ce n’est pourtant pas un film érotique, mais une terrible histoire de destruction entre deux personnages.
Qu’est devenu votre film en projet Quando Alice Rompe lo Specchio ?
J’ai transformé ce projet en Voix profondes, le film que je tourne actuellement. C’est une histoire absolument originale, que j’ai écrite, celle d’un mort, décédé à cause d’une étrange hémorragie intestinale, qui se rend compte que sa famille ne l’aime pas et qui veut savoir comment il est mort. Il s’aperçoit peu à peu qu’on l’a assassiné, mais il ignore comment. Il mène son enquête. L’idée du film, c’est que les morts vivent avec nous dans notre imaginaire, nos rêves. Combien de fois avons-nous rêvé de personnages morts nous parlant dans nos rêves ? Il communique avec une fille à travers ses rêves, il ne veut pas être oublié et découvrir qui l’a tué.
Il y a quelque temps, vous nous confiez que vous abandonneriez les scènes gores dans vos prochains films…
Voix profondes déjà s’en éloigne. Avec Nightmare Concert, j’ai voulu faire une sorte de testament du splatter, mon dernier film gore, complètement du début à la fin. J’abandonne donc maintenant ce genre pour des thrillers avec quelques scènes chocs et une histoire vraiment forte.
Beaucoup de réalisateurs produisent leurs propres films. Qu’en pensez-vous ?
J’ai produit Nightmare Concert. Ça ne m’intéresse plus de travailler pour de grosses sociétés. Mon dernier film, je l’ai produit avec deux amis, qui sont mes associés, et nous avons investi un gros paquet d’argent dessus ; bien sûr, toujours dans nos budgets habituels qui ne dépassent pas les 700 millions de lires, ce qui est assez peu. Je tiens beaucoup à un film de David Keith, La Malédiction céleste, pour lequel je me suis associé à la production et j’ai tourné les effets spéciaux.
Pour quelles raisons ?
Parce qu’il faut une certaine expérience. Je les ai tournés en Italie.
Et après qu’avez-vous fait ?
Un horrible film dans les Philippines, Zombi 3. On m’avait demandé un scénario, mais ils le changeaient tous les jours. J’ai tourné cinquante-cinq minutes, et c’est un certain Mattei qui l’a fini. Le producteur était quelqu’un de sérieux, mais entouré de parasites, dont un certain Fragasso, qui réalise maintenant des films d’horreur avec Joe D’Amato. Je crois que c’est l’unique film dont j’ai honte.
Pensez-vous retrouver un jour les zombies ?
Non, selon moi, c’est démodé. L’horreur dans la vie de tous les jours, c’est beaucoup plus fort. J’ai un projet qui me tient à cœur, intitulé Le Porte del Silenzio, l’histoire d’un homme seul qui va à la rencontre de sa mort. Le film se passe en temps réel. Mais je n’arrive pas à le faire. Ce film sera mon vrai testament.
Les premières scènes des Fantômes de Sodome sont assez étonnantes…
Oui car c’est une bombe qui détruit un lieu de vice, et les fantômes restent dans les parois de cette villa abandonnée. Comme si une bombe avait explosé dans le film de Pasolini, Salo et les 120 jours de Sodome : c’est le départ du film. J’ai tourné également un film de science-fiction 2072 – Les Mercenaires du futur, qui en dit long sur les pouvoirs de la télévision.
Votre gave maladie a-t-elle changé votre concept de la vie et votre style ?
Au niveau du cinéma, pas du tout. Si vous voyez les films que j’ai faits pour Berlusconi, ils ont le même langage que les films de l’époque de L’Au-delà. Par contre, c’est mon concept de la vie qui a changé.
Aimeriez-vous utiliser une steadycam, avoir des budgets plus importants ?
Je suis pauvre. (Rires.) Je ne peux pas avoir de steadycam. J’aimerais beaucoup. J’ai une petite Dolly. Corman disait qu’avec des limitations de budget on obtenait de bonnes choses. Je respecte cette règle de Corman. Je l’ai rencontré à Florence lorsqu’il tournait son Frankenstein Unbound.
Cette année, en Italie, sort Night Club où vous êtes crédité comme scénariste…
C’est un vieux sujet que j’ai écrit il y a trente ans avec Luciano Martino et Giovanni Paoli.
Soupçons de mort a l’air d’être une version masculine de La Veuve noire…
C’est l’histoire d’un homme monstrueux. J’ai repris le même thème dans le film que je suis en train de faire. C’est un bon film, fait avec un tout petit budget de 208 millions de lires. Nous devions en faire dix, c’était une sorte de pari. Mais Alfieri, le producteur, est un escroc.
Il est crédité comme co-scénariste aussi.
Non, il n’a jamais écrit une ligne. Cela a été mon travail et celui de Piero Rignoli.
Qu’est devenue Catriona McColl ?
Je ne sais pas, je l’ai appelée pour Demonia, et elle m’a dit qu’elle tournait autre chose.
Comment choisissez-vous vos acteurs ?
En faisant cent quatre-vingt essais à chaque fois. Parce que doivent être compatibles : le personnage, la sympathie, et le montant du cachet.
Vous n’avez jamais utilisé d’acteurs célèbres, pourquoi ?
Le public a un certain concept du film fantastique, les vedettes ne sont nullement indispensables.
Aimeriez-vous produire de jeunes réalisateurs ?
Oui, mais dans ce genre, en Italie, il n’y a personne. Sauf Michele Soavi, un de mes ex-assistants réalisateurs, qui est excellent. Mais il est déjà avec Argento. C’est un très bon réalisateur et quelqu’un de très intelligent. Il a fait deux films avec moi, un comme assistant et un comme acteur.
Aimez-vous regarder les films de vos confrères ?
J’adore ça. On apprend toujours quelque chose avec les bons films, et je peux me prendre pour un rand réalisateur quand j’en vois des mauvais. Je vais beaucoup au cinéma. Mais le dernier excellent film fantastique que j’ai vu, c’est La Mouche, un film extraordinaire. Récemment, j’ai beaucoup aimé Driving Miss Daisy et Le Dernier empereur. Mais en fantastique, pas grand-chose.
Avez-vous vu le dernier film d’Argento et Romero, Deux yeux maléfiques ?
Oui, et j’aime bien le sketch d’Argento. Moi, j’ai déjà réalisé un film sur Le Chat Noir. Et je dois dire que les effets spéciaux sont vraiment bien faits. Romero paraît fatigué sur ce film. Bien qu’Argento dise beaucoup de mal de moi (rires), j’avoue qu’il a bien réussi ce film.
Quel est votre film préféré de votre carrière ?
Beatrice Cenci et L’Emmurée vivante.
Je trouve que L’Eventreur de New York a été en fait une cassure dans votre carrière.
C’est un film fait à « l’américaine ». A la manière d’un Friedkin. C’était un film très réaliste. Je voulais montrer le vrai New York et ne pas faire un film « carte postale ». Nous avons fait du bon travail. C’est un très bon film, il me plaît beaucoup. J’adore aussi L’Emmurée vivante, L’Enfer des zombies, et tous les films qui ont suivi jusqu’à La Maison près du cimetière, La Longue nuit de l’exorcisme. J’aime aussi une ou deux comédie avec Franco et Ciccio: I Due Evasi di Sing Sing et Come Svaligiammo la Banca d’Italia.
Et les films de Totò ?
J’en ai réalisé un, mais j’en ai écrit tellement. Totò était un génie, aucun autre comique ne l’a remplacé en Italie. Il a été le plus grand comique national.
Quels ont été les acteurs avec qui vous avez préféré travailler ?
Catriona MacColl était parfaite. Une blonde en péril typique d’Hitchcock. Une très bonne actrice, très disciplinée, ni trop sexy ni laide. Elle est formidable, je crois qu’elle a épousé John Finch (l’acteur de Frenzy).
Vous considérez-vous comme un artiste ou comme un artisan ?
Artisan, bien sûr. Avant l’interview de Truffaut, Hitchcock était considéré comme un artisan. C’est après qu’il a été considéré comme un artiste. Alors que lui-même, je pense, se sentait artisan.
Vous rappelez-vous du Festival de Paris ?
Oui, bien sûr, il est inoubliable. Je l’aime beaucoup. Le public était vraiment très sympathique, avec une odeur de bonne herbe. (Rires.) Leur participation est vraiment extraordinaire, je me rappelle qu’ils reprenaient en cœur le générique de L’Enfer des zombies. C’est la première fois que je voyais ça. Tandis qu’à Avoriaz, c’était très snob, beaucoup de gens se fichaient de tout.
Que pensez-vous de La Maison près du cimetière ?
Je l’aime beaucoup. J’ai une anecdote assez drôle sur ce sujet. Poltergeist repose sur une maison construite sur un cimetière. Et Scorcese m’a dit que Spielberg avait vu un petit film italien. Alors, est-ce possible ou non ? C’est mystérieux ce « petit film italien »… (Rires.)
Texte reproduit avec l’aimable autorisation d’Alain Schlockoff
Il faut en effet réévaluer l’excellent segment d’Argento pour Deux Yeux maléfiques, relecture de Poe inspirée par le parcours de Weegee, qui annonçait le récent Nightcall…
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